Chapitre 11 — Sibérie
Pourquoi ?
La
lettre dans sa main le brûlait. Il en avait reçu tant d’autres venant du Japon.
Revenez disaient-elles. Pour un combat. Ce n’était pas digne d’un
chevalier, lui aurait dit Isaak.
Isaak…
Seul
face au trou béant, Hyôga s’était senti malade de chagrin.
Isaak
n’était plus… La pensée le hantait.
Il
s’était retrouvé seul sur la glace froide, alors que le cosmos familier à ses
côtés s’était éteint. Il avait vu Camus courir, le saisir, crier son nom. Pour
la première fois Hyôga avait éprouvé le froid. Il pesait sur son cœur, gelait
ses pensées. Hébété, Hyôga avait juste murmuré :
« Isaak… »
Les
yeux d’un brun chaud de Camus s’étaient bizarrement brouillés alors qu’il
serrait le jeune homme contre lui.
« Idiot ! »,
avait-il murmuré dans une langue que Hyôga commençait à connaître. Camus
passait facilement au français sans toujours s’en rendre compte.
Le
tourbillon… Il avait emmené Isaak loin de lui, l’avait englouti vers le fond
gourmand de vies. C’était la deuxième personne chère que Hyôga perdait au même
endroit. Il s’était mis à pleurer, la tête serrée contre le pull tiède de Camus.
Il avait perdu toute notion du temps alors que la main du Français caressait
doucement ses cheveux en geste réconfortant. Puis brutalement Hyôga s’était
souvenu de sa place. Il s’était écarté de son maître et avait commencé à
s’excuser :
« C’est de ma faute… J’avais plongé mais le courant m’avait
emporté. C’est alors qu’Isaak…
– Je sais,
l’avait coupé Camus. Je sais ! », avait-il répété en se redressant.
Hyôga
revoyait encore son profil crispé, ses lèvres serrées et son regard humide. Il
l’avait entendu chuchoter un nom.
Isaak…
Puis
Camus ne lui en avait plus jamais reparlé. C’était comme un accord tacite entre
eux.
Ils
avaient offerts les quelques affaires du jeune homme à des villageois, sa seule
photo avaient été cachée. Isaak avait été rangé dans les souvenirs à oublier.
Camus
s’était montré plus avide que jamais de former son seul élève restant. L’esprit
rongé de culpabilité, Hyôga s’était laissé faire, laissant l’entraînement
drainer son chagrin. Il s’était décidé à devenir un chevalier digne de ce
qu’Isaak voulait. Ce serait son hommage à lui.
Un
jour Camus lui avait désigné un glacier :
« Ton
armure est là.
– Mon
armure ?, s’était étonné Hyôga.
– Oui ton
armure. Tu l’as méritée. Tu es chevalier à présent, avait répondu le Français.
– Mais
Maître, j’ai encore tant à apprendre !, avait protesté le jeune homme.
– C’est
suffisant pour un chevalier de Bronze, avait marmonné Camus. La seule autre
chose que je pourrais t’apprendre est bien au-delà de tes capacités actuelles.
Va donc récupérer ton armure, chevalier du Cygne ! », avait-il
grondé.
Hyôga
l’avait maladroitement remercié, déclenchant un des rares sourires de son
maître.
« Je
vais partir…, avait rajouté ce dernier.
–
Partir ? Où ?
– Au
Sanctuaire. Je suis longtemps resté absent cette fois-ci, je n’y suis plus
retourné depuis que…, avait-il hésité. Depuis que je me suis complètement
concentré sur ton entraînement », avait-il repris, éludant le point.
Les
pensées de Hyôga s’étaient mélangées. Oui, parfois Camus partait là-bas. Mais
il revenait toujours. Pourtant… Le ton de sa voix à ce moment-là donnait à
penser que c’était définitif.
« Quand reviendrez-vous ?, avait-il demandé, inquiet.
– Je ne
reviendrai pas. Je suis chevalier du Verseau, ma place est là-bas ! »
Hyôga
n’avait pas osé répondre. Les longs cheveux roux de son maître s’étaient
éloignés de plus en plus de lui, flamme vacillante.
« Peut-être un jour seras-tu appelé là-bas Hyôga ? »,
avait rajouté soudainement Camus en se retournant à peine.
Hyôga
avait serré son bras droit de sa main gauche et avait souri en baissant les
yeux :
« Oui
peut-être… »
Le
temps de redresser le regard, Camus avait disparu.
Puis les lettres du Japon avaient commencé à arriver. Elles voulaient qu’il revienne, conformément à leur accord.
« Au diable
cet arrangement ! », avait-il maugréé en les déchirant.
Il
ne déshonorerait pas son rang, son maître et son ancien camarade dans un combat
futile et contraire aux règles de discrétion.
Mais
cette lettre-là était différente. Elle venait du Sanctuaire. Il l’ouvrit
anxieusement. On lui ordonnait de prétendre participer à ce tournoi et de
châtier tous les participants. Hyôga trembla.
« Que
dit-elle ? », demanda le jeune Yakoff à ses côtés.
Hyôga
remit le papier dans l’enveloppe.
« Je
dois aller au Japon, répondit simplement le jeune Russe.
– Mais je
croyais que tu ne voulais pas, s’étonna l’enfant.
– C’est
différent cette fois… »
Hyôga
se releva et avança vers le glacier. Il n’avait toujours pas pris la peine de
prendre son armure. Il en aurait pourtant besoin.
Qui
de ses anciens camarades avait réussi à gagner une armure ? Qui avait eu
le culot de revenir se pavaner dans un tournoi au mépris des règles de la
chevalerie ? Des visages adolescents lui revinrent brutalement, avec des
souvenirs durs mais aussi doux, et une nostalgie étrange le fit trembler.
Non,
il ne pouvait pas se le permettre.
Hyôga
fit exploser un bout du glacier. Sa mélancolie partit du bout de ses doigts en
poussière gelée.
Il
n’aurait aucun sentiment. Il irait au Japon et les massacrerait tous.
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