samedi 7 juillet 2012

L'amour ne suffit pas : chapitre 14


Chapitre 14 — Japon


            Il leva la tête sur la vaste demeure. Un gargouillis lui serra le ventre. Il reconnaissait chaque allée, chaque fenêtre du manoir. Rien ne semblait avoir changé. Les bosquets étaient toujours épais, les parterres de fleurs colorés…
            Il déglutit en appuyant sur le bouton de l’interphone.
            Une voix métallique lui répondit :
  « Oui, c’est pour quoi ? »
            Il se pencha sur le grillage de l’appareil, regardant la caméra de surveillance.
  « C’est Shun… Je rapporte l’armure d’Andromède. »
            Un silence grésillant se fit entendre, puis la grille s'écarta devant lui en grinçant.
            Il inspira et avança dans l’allée jusqu’aux larges escaliers de l’entrée du manoir. La porte large du bâtiment s’ouvrit, dévoilant une forme et un visage qui le pétrifièrent un instant. Il planta ses ongles dans la lanière droite de sa box et soupira. Allons, il n’était plus un enfant. Il soupesa son sac léger et grimpa les marches pour saluer Tatsumi.
  « Tu es le dernier que j’aurais cru revoir un jour », maugréa l’homme chauve en le faisant entrer.
            Shun tourna la tête pour observer l’intérieur du manoir. Les mêmes peintures étaient accrochées aux murs, portraits et paysages, étranges et familiers. Le plafond haut était baigné de lumière douce, traversant les fenêtres larges. Seul le sol avait changé. On avait ôté les tapis de protection, frotté les dalles, et son marbre blanc luisait doucement sous ses pas. Shun se demanda mécaniquement si ses chaussures étaient assez propres pour un tel sol et rit à cette idée.
  « Toujours insolent…, maugréa Tatsumi devant lui. Mais tiens-toi correct devant Mlle Saori Kido ! »
            Shun sourit mécaniquement en s’étonnant :
  « Mlle Saori ? Et M. Kido ? »
            Tatsumi s’arrêta en serrant les poings.
  « M. Kido… nous a quittés, articula-t-il. Maintenant vous dépendez de Mlle Saori. »
            L’homme s’ébranla et ouvrit la porte du salon. Assise à une table, une jeune femme remontait pensivement ses gants blancs. Sur sa peau pâle reposaient de longs cheveux châtains dorés, soigneusement lissés, et ses yeux vifs étaient baissés sur une moue boudeuse.
  « Mademoiselle…, signala Tatsumi.
  – Ah… », soupira-t-elle en levant le regard vers les deux hommes.
            Etait-ce là Saori ?, se demanda Shun. Il ne se souvenait que d’une adolescente aux cheveux courts et aux plaisirs plutôt sadiques et il retrouvait une belle jeune femme de la société. Il sourit.
  « Conformément à mon ancien accord, je vous rapporte l’armure d’Andromède…, expliqua-t-il.
  – Oui… Tu es… », commença-t-elle.
            Il la vit prendre une feuille de papier avec une liste et chercher du doigt :
  « Voilà… Shun donc.
  – Oui. »
            Elle semblait ne pas se souvenir de lui. C’était logique en même temps, se dit-il, il avait toujours été discret en sa présence.
  « Le principe est simple, expliquait-elle. Il y a un tournoi dans lequel vous vous affronterez…
  – Un tournoi ?, s’étonna Shun.
  – Oui, les Galaxian Wars… Ce sera très médiatisé !, précisa-t-elle en levant l’index. Tu feras de l’audience, plus que Jabu…, commenta-t-elle distraitement en le détaillant du regard. Pour le moment, vous êtes neuf… Peut-être y en aura-t-il un autre ? Vous n’êtes pas tous arrivés, poursuivit-elle, mais…
  – Qui sont les neufs ?, la coupa anxieusement Shun.
  – Oh je ne me souviens plus des noms par cœur ! Tu verras ça avec Jabu…, se dédouana-t-elle. Où en étais-je ?
  – Aux Galaxian Wars…, lui rappela Shun.
  – Ah oui !, s’exclama Saori. Le vainqueur du tournoi gagnera une armure d’or, l’armure du Sagittaire », dit-elle d’un ton sérieux.
            Shun entrouvrit la bouche.
  « Bien, en attendant, laisse ton armure ici, tu la retrouveras pour le tournoi », ordonna Saori.
            Docile, Shun fit glisser la boîte de ses épaules et la posa à côté de la table. Saori agita la main droite :
  « Tatsumi, montrez-lui ce qu’il faut ! »
            L’homme chauve se rapprocha du jeune homme et posa sa main large sur son épaule, le pressant de sortir. Serrant la lanière de son sac, Shun se laissa faire.
            Tatsumi le conduisait vers leur ancien réfectoire, se souvenait Shun. Quelques discussions s’en échappaient et venaient murmurer à son oreille un souvenir nostalgique. Sauf que les voix étaient graves, les rires solides. Shun rentra dans la pièce en écartant les yeux. Plus qu’une seule table s’y trouvait, avec des chaises plus confortables que celles de son enfance. Dans un coin s’étalait un canapé rouge, légèrement affaissé, sur lequel deux jeunes gens devisaient. L’un se redressa à la vue de Tatsumi. Sa peau dorée ne parvenait pas à effacer un sourire un peu effronté au coin de ses lèvres. Jabu. Oui bien sûr, Shun se rappelait de lui et le reconnut. Même tignasse blonde folle, même assurance.
  « Un nouveau ! Tu connais le principe maintenant », déclara Tatsumi en repartant.
            Jabu rit et tendit la main vers Shun pour le saluer.
  « Je ne sais pas si tu te souviens de moi, mais je suis Jabu.
  – Oui je me souviens de toi, sourit le chevalier d’Andromède en serrant la main tendue. Je suis Shun. »
            Une surprise intense se dessina sur le visage de Jabu.
  « Je n’aurais jamais misé un seul yen sur toi !, ria-t-il. Comme quoi la vie est surprenante. »
            Il lança une claque dans le dos de Shun et lui présenta les personnes dans la salle. Le jeune homme brun avec qui il bavardait était Nachi. Le géant sur un fauteuil était Geki. L’homme étrange avec une crinière blanche était Ichi. Et l’homme silencieux aux longs cheveux noirs, qui posait ses coudes sur la table était Shiryû.
            Les noms disaient vaguement quelque chose à Shun, sans qu’il ne parvienne à complètement les situer.
 « Mlle Saori m’a dit que nous étions neuf… Qui sont les trois autres ?, demanda Shun.
 – Ah ça… Ban est arrivé, mais je crois qu’il est sorti dans le jardin en ce moment, répondit Jabu. Et il paraît que le chevalier de Pégase et du Cygne devraient venir. Mais…, ajouta-t-il en clignant de l’œil, je n’ai aucune idée de qui il peut bien s’agir ! »
            Shun lui sourit en le remerciant.
            Il alla s'installer à la table en face du jeune homme sombre.
            Ikki n'était pas là... Mais peut-être... Peut-être que ce Pégase ou ce Cygne était lui ? Et Saori avait laissé entendre que d'autres pouvaient se joindre à eux, peut-être Ikki en faisait-il partie ? Lui et son frère s'étaient promis de se retrouver victorieux. Si même Shun, doux et délicat, y était parvenu, Ikki avait réussi sans nul doute ?
            Shun se massa les poignets, légèrement inquiet. Il regarda l'homme en face de lui. Il baissait les yeux sur un livre, semblait désintéressé de ce qui l'entourait.
  « Et toi, demanda Shun, où as-tu passé ces dernières années ? »
            Shiryû releva le regard et le posa sur lui.
  « En Chine, répondit-il d'une voix monocorde.
  – Oh, ça doit être beau !, s'enthousiasma Shun. Raconte-nous, comment était-ce ? »
            Shiryû soupira. Il se souvenait de l'être jovial en face de lui. Il piaillait pendant des heures avec son camarade de chambre de l'époque. Son côté trop affectueux l'agaçait. Cela aurait dû l'empêcher d'obtenir une armure. Par quel miracle avait-il réussi ? Les iris d'un vert tendre se posaient sur lui en caresse légère, attendant sa description. Shiryû expira.
  « Oui, c'est très beau... Il y a de nombreuses cascades et une chutait juste à côté de notre demeure. L'air est tiède et humide, et le sol exhale une odeur végétale douce. »
            Le regard de fougère se plia en sourire délicat. Etait-il si facilement satisfait ?, se demanda Shiryû. Mais Shun s'était déjà tourné vers Jabu.
  « Et toi Jabu ? Où était-ce ? Comment était-ce ? », interrogeait-il.
        La voix de Shun était souple et affectueuse, et les autres répondaient avec gaieté à ses questions. C'était étrange, se dit Shiryû. Ils l'avaient maltraité lorsqu'il était enfant. Etait-il assez idiot pour l'avoir oublié ? Assez angélique pour avoir pardonné ?
            Les pensées de Shiryû volèrent vers la cascade de Lu Shan. Elle scintillait auprès d'une jeune femme aux cheveux tressés. Les gouttelettes frémissaient contre sa peau pâle et elle riait.
            Shiryû ferma les yeux sur sa nostalgie.


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