lundi 23 juillet 2012

L'amour ne suffit pas : chapitre 20

Chapitre 20 — Cavernes du mont Fuji


            Shunrei serait mécontente si elle savait. Shiryû se sentait lentement glisser, flottant entre deux mondes. L’air était chaud contre sa peau, et le picotement du soufre une caresse étrange alors qu’il sombrait. Il était bizarrement bien alors que son souffle vital coulait loin de lui, en flots sombres de souffrance évanouie.
            Puis son adversaire planta ses doigts en lui et Shiryû revint dans la réalité concrète de cette dimension. Le sol était granuleux sous son dos, roche acérée, l’atmosphère était difficilement respirable et son corps n’était que douleur. Il toussa, crachant un peu de sang. Il se redressa, entendant le cliquetis des chaînes et le tintement des cloches sur sa droite. Shun remontait doucement, Seiya sur l’épaule, le visage inquiet.
          Serait-ce comme cela ? Allaient-ils tous y passer un par un ? Le volcan au dessus d’eux les engloutirait et l’air acide rongerait leur peau jusqu’à l’os. Shiryû frissonna. Non, ils avaient survécu, ils continueraient à le faire. Il regarda le corps noir de Seiya et plongea les doigts sur lui, ignorant les cris de protestation de Shun, n’expliquant que brièvement. Il appuya sur les points de la constellation de Pégase, laissant un sang corrompu sortir du corps de Seiya. Une odeur âcre métallisée remonta dans leurs poumons. Shun grimaça, sur le point de vomir.
            Shiryû se tourna vers le jeune homme châtain.
  « Tu devrais rester ici, deux frères ne devraient pas s’affronter. »
            Shun lui sourit.
  « Au contraire… Je dois y aller. »
          Shiryû le fixa quelques secondes et haussa les épaules. Il était assez grand pour avoir le cœur brisé.


            Les doigts ensanglantés d’Ikki tremblaient. Le Russe avait failli l’avoir. Avec son regard bleu, ses cheveux de poupée blonde, il était plus coriace que ses traits délicats ne le laissaient supposer. Si le Cygne noir ne l’avait pas prévenu en y laissant sa vie, Ikki n’aurait pas su contrer l’attaque. Il regarda sa main rouge. Le corps de Hyôga reposait un peu plus loin, alors qu’Ikki s’en éloignait à chaque pas.
            C’était étrange, il se sentait vide, indifférent à la dépouille délaissée. Pourtant il se souvenait. Il se souvenait l’avoir aidé enfant. Il se souvenait que Shun l’adorait. Il se souvenait qu’il lui avait laissé la garde de son frère bien-aimé de nombreuses fois. Il se souvenait que Hyôga était devenu beaucoup trop proche de Shun à son goût. Il se souvenait qu’il le haïssait pour ça. Ikki cria contre le sol.
            Il se redressa en s’éloignant de plus en plus, s’engouffrant dans le labyrinthe des grottes. Le Pégase noir et Seiya avaient fait match nul, chacun le payant de sa vie. Le Dragon noir l’avait trahi au lieu de faire de même. Et Shun avait vaincu sans problèmes son homologue noir. Deux venaient donc vers lui. Deux à éradiquer au plus vite. Dont Shun. Ikki serra son poing gluant.


            Les murs se rapprochaient de plus en plus, sensation oppressante qui frôlait leurs hanches. Et l’odeur… Elle envahissait leurs poumons en parfum âcre, les faisant tousser, brûlant la muqueuse fragilisée.
         Une lumière éclairait le fond du tunnel, semblant venir d’une salle souterraine plus large. Shun et Shiryû clignèrent des yeux, éblouis, alors qu’ils s’avançaient vers l’éclairage.
       Des lanternes étaient posées au milieu d’une pièce vaste et Ikki les attendait au centre, les yeux durs pointés sur eux. Shiryû inspira. La chaîne de Shun s’abattit sur sa nuque, le plongeant dans l’inconscience.
  « Désolé Shiryû… », s’excusa Shun alors que le corps inconscient s’écroulait par terre.
       Ikki l’observait, ses yeux d’un bleu de crépuscule posés sur le visage doux, les épaules légèrement frémissantes. Shun planta son regard de prairie dans celui d’Ikki, se rapprochant de lui. Il s’agenouilla.
  « Je… je sais…, bredouilla-t-il. Je… je veux bien… »
            Ikki ouvrit la bouche sans savoir répondre. Les iris de Shun palpitaient, et le vent soufflait sur leur blé vert. C’était impossible. Ikki ne croyait pas à ce sacrifice improbable.
  « Foutaises. Tu veux seulement être conciliant. Tu ne veux pas vraiment…
  – Si… J’ai réfléchi, je veux bien… »
           La voix était moins hésitante, plus assurée. S’il lui donnait ce qu’il voulait, la frustration d’Ikki s’évacuerait loin de lui, et le visage tendre de son frère réapparaîtrait. Si c’était ce qu’Ikki désirait, Shun était prêt à tout.
  « Menteur, tu trembles…, contesta Ikki Et je refuse de me laisser aller à ça… », chuchota-t-il.
         Shun agrandit les yeux, saisissant soudain la fin du sentiment honteux. Il sentit ses cils se mouiller alors qu’il déclarait :
  « Alors tue-moi. Tout disparaîtra avec moi. Mais pas les autres, ils n’y sont pour rien. Juste moi… »
            Ikki se rapprocha de Shun. Il était mince, la nuque étroite. En un coup, tout serait fini, il ne s’en rendrait même pas compte. Il tendit la main.
  « Frapper son propre frère, qui s’est rendu, quel acte héroïque ! », s’exclama une voix familière.
            Hyôga avança, souriant légèrement à Shun qui lui rendit un regard doux. Une compréhension cruelle déchira le cœur d’Ikki en jalousie pure. Pourquoi n’était-il pas mort ?
  « Il n’y a que lui qui devrait être mort », répondit Seiya de l’autre côté.
            Ikki retourna le visage vers lui. Seiya était vivant… Ikki entendit incrédule Shun protester. Il voulait aller jusqu’à le tuer et Shun prenait sa défense ?

            Ils se dressaient tous contre lui, Ikki sourit indifférent.
  « Que s’est-il passé sur cette île ? », demanda la voix douce de Shun.
            Assez !
       Ikki lança son attaque contre le corps mince de son frère mais Hyôga se plaça devant, protégeant le jeune homme. Ikki se crispa, la rivalité glissant en sueur gelée le long de sa colonne vertébrale. Le Russe prétendait lui renvoyer son attaque d’illusion ? Impossible, l’âme d’Ikki était morte, le coup ne lui ferait aucun effet.
           Impossible…
          Ikki trembla en revoyant le visage d’Esméralda se transformer en celui de Shun, en ressentant son désir refoulé se cacher, en réentendant Guilty lui murmurer ses paroles pleines de fiel. Le sang courait sur la terre de l’île, et son cœur plongeait son envie dans son corps honteux, le corps froid de la jeune fille dans ses bras, ayant ôté le masque de Shun. La culpabilité dévora Ikki.

           Ikki rouvrit les yeux sur Hyôga, replongea son poing en lui. Il ne voulait plus voir ce visage fin. Ce visage avait le pouvoir de le rendre malade de jalousie, de lui faire revivre des choses qu’Ikki refusait. Il lança le bras, saisissant le pendentif qui avait protégé le Russe, comprenant enfin pourquoi il n’était pas mort. Il entendit Shun hurler. Ikki n’en pouvait plus. Il lança une déflagration qui propulsa les Bronzes à terre.
            C’était fini, soupira-t-il.
            Il n’avait pas pensé que l’armure d’or reconstituée en protégerait un. Seiya… Ikki sut dès lors que son sort était tracé. Il savait que l’armure d’or donnait des pouvoirs spéciaux, réminiscence oubliée. Il lutta quand même, sachant qu’il serait vaincu. Mais à l’armure vint s’ajouter les pouvoirs des autres Chevaliers. Il n’avait pas frappé assez fort.
            Le visage doux de Shun remuait légèrement les cils, la bouche entrouverte pour respirer. le poing de Seiya avait vaincu Ikki, et. Il  tombait, ne parvenant pas à détacher le regard des traits fins de son frère. Et si… Et s’il s’était trompé ? S’il était possible de ne pas cesser de l’aimer, de juste accepter l’absence de possibilité de réponse à ce sentiment et juste… vivre ?
         Ikki laissa dériver ses yeux sur les corps inanimés. Shiryû serrait la main sur une roche, s’accrochant même inconscient. Hyôga avait posé le bras sur celui de Shun, dernier réflexe avant de s’évanouir sous le choc de l’attaque d’Ikki. Au dessus du front d’Ikki, Seiya transpirait, sueur rougeâtre, se mêlant au sang maculant sa chair. Elle tombait en gouttes cramoisies sur la peau d’Ikki, liquide brûlant et acide.
         Ikki sourit en reposant ses iris sombres sur Shun, qui entrouvrait les cils, commençant à reprendre conscience. Ikki l’aimait… Il devait apprendre à vivre avec cela, cesser de lutter contre le sentiment. Il l’accepterait sans jamais l’achever.

         Le sol se mit à trembler et les murs commencèrent à tomber en pierres chaudes. Ikki écarquilla les yeux, comprenant soudain. Le volcan était entré en éruption, et les cavernes allaient s’écrouler sur eux. Il se redressa, tendant le bras vers Shun. Mais un par un, chaque Chevalier disparaissait, comme téléporté ailleurs. Sauf Ikki.
         En riant, il se laissa écraser sous les gravats.




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