Chapitre 10 : Seiya
Elle
riait.
Elle
était arrivée, sa robe froufrouteuse relevée précautionneusement par ses petits
doigts, une moue dégoûtée pour les taches sur le tapis. Elle avait cherché du
regard une place libre autour d’une des tables, et après avoir grimacé devant
le bois dur du siège, s’était résolue à s’y asseoir. Un silence pesant s’était
installé alors que les garçons observaient la petite princesse pincer les
lèvres.
Le
dessin rococo du papier peint jurait avec les chaises et tables en bois massif,
comme si les minces dorures ciselées délicatement pouvaient raffiner le chêne
honnête du mobilier. Elle avait grimacé devant ce qu’elle considérait comme une
intrusion désagréable.
« Ah,
ça fait cet effet-là d’être dans une cantine ? », s’était elle
étonnée d’une voix claire.
Ses
yeux avaient balayé l’espace, s’attardant sur quelques visages contrariés.
« Mais
profitez-en bien, ces horribles chaises seront bientôt vos souvenirs les plus
douillets ! », avait-elle ri.
A
côté d’elle, son infortuné voisin serrait les poings. Saori tourna la tête vers
lui en souriant :
« Ne
fais pas cette tête Seiya ! Je suis venue vous apporter des
nouvelles ! Vous voulez tous savoir ce qu’il va se passer,
non ? »
Il
détourna le regard des yeux pers fixés sur lui. Saori eut un petit gloussement.
Penchant légèrement le cou, elle agita la main gauche dans ses cheveux courts.
Elle baissa les cils en une tentative de féminité précoce, et remua les doigts
vers son public.
« On
vous l’a dit, ce printemps, chacun partira dans un lieu d’entraînement distinct
de par le monde… Si vous n’êtes pas trop minables, vous devriez à terme gagner une
sorte d’objet sacré », reprit-elle.
Un
léger chuchotement envahit la salle.
« Bien
sûr, vous devrez ensuite ramener l’objet à la Fondation après »,
rajouta-t-elle d’un ton acidulé.
Un
étranglement l’arrêta.
« Et
pourquoi donc ? », fit une voix sur sa droite.
Seiya
s’était retourné vers elle, les dents serrées.
« Pourquoi
quoi ? », le toisa Saori.
Il
la dévisagea :
« Pourquoi aller dans un coin truc pour ramener un truc sacré ?
Qu’est-ce que j’y gagne ? »
Elle
plissa les yeux et referma la main sur son pendentif en forme de chouette.
« Parce que vous faites ce qu’on vous dit, point ! »
Il
tapa du poing sur la table.
« Je
ne vois pas pourquoi ! », cria-t-il presque.
Elle
se redressa. Quel impertinent ! Le son sec de la claque résonna durement
dans le silence anxieux de la salle.
« Seiya, comme tous les autres, tu feras ce que je te dis de faire,
et ce, sans te poser de questions. Ce n’est pas avec ton cerveau que tu risques
de m’éblouir !
–
Mademoiselle Saori, que se passe-t-il ? », demanda une voix grave.
Tatsumi
venait de rentrer dans la salle. Son costume trop petit moulait les replis de
son abdomen, et les regards goguenards sur son ventre accentuaient son
irritation. Fronçant les sourcils, il pointa son visage guérissant d’une ecchymose
vers Seiya.
« Tu
contraries encore Mademoiselle Saori, petit insolent ? »
Seiya
ne tenta même pas de protester, à quoi bon ? Même Ikki avait été frappé
par le courroux de Tatsumi. Des objets, pas même sacrés eux, ils n’étaient que
des ustensiles avec une utilité quelconque. Il serra les poings et attendit.
Tatsumi s’agitait, ses bras remuaient en gestes rageurs. Bla bla bla, corvées,
bla bla bla, ne connaît pas sa place, bla bla bla, vais t’inculquer le respect
moi. Seiya eut un sourire moqueur du coin des lèvres et hocha la tête en entendant
sa sentence. Les grimaces de Tatsumi contrarié étaient comiques, et le jeune
garçon avait du mal à cacher un fou rire intérieur. Heureusement Tatsumi se
lassa vite et finit par le renvoyer de la cantine. Plongeant ses mains dans les
poches arrière de son jean, Seiya s’exécuta. Des dizaines de regards le
suivaient sans même qu’il ne le réalise, mais près de la porte de sortie il
lança un clin d’œil à Jabu.
« Pas
trop déçu que Saori ne se soit pas assise à côté de toi ? »,
chuchota-t-il.
Le
garçon blond ouvrit la bouche pour hurler, alors que ses camarades le
retenaient. Seiya s’en alla tranquillement, riant des cris injurieux qui
reculaient plus en plus dans son dos.
« Ce
n’est pas très gentil ce que tu as fait », protestait doucement son adversaire
de lutte.
Seiya
réprima un soupir d’agacement. Saisissant l’épaule ronde et le bras rose, il
posa le pied sur le ventre contracté et passa le garçon par-dessus son propre
omoplate. En un gémissement plaintif, ce denier s’écrasa sur le matelas bleu.
« Pense à apprendre à contre-attaquer au lieu de me faire la
morale ! », grogna Seiya.
Son
adversaire renversé se roula sur le côté pour se redresser.
« Pardon Seiya », sourit-il doucement avant de rejoindre son
partenaire d’entraînement suivant.
Seiya
s’ébroua. Cet endroit lui sortait par les yeux. Il voulait juste repartir,
revoir sa sœur et oublier les êtres étranges du manoir. C’est alors qu’il la
vit.
Assise
sur les marches du gymnase, avec sa robe meringue et les ongles vernis de lilas
bonbon, Saori les regardait, le sourire aux lèvres. Sa silhouette pastel se
découpait sur le mur gris, créature baroque et rose sur le béton râpeux. Elle
osait venir les observer s’exercer. Que cherchait-elle ? Jaugeait-elle les
futurs vainqueurs, les plaçant dans ses futures stratégies ? Se
délectait-elle des perdants, trouvant humiliantes leurs prouesses
médiocres ? Elle posa son regard pers sur Seiya, esquissa un sourire
indéchiffrable. Il ragea en passant son adversaire suivant par-dessus son
épaule.
Elle
l’énervait. Elle se croyait la plus belle, la plus puissante, juste parce
qu’elle était née avec une cuillère d’argent dans la bouche et qu’elle portait
des robes ridicules de princesse. Elle l’observait. Mais qu’avait-elle à part
son regard perçant ? Elle ne savait que se moquer d’eux, les confondre
avec des esclaves. Qu’avait-elle à part sa bouche finement ourlée ? Ce
n’était qu’une égoïste, ne se souciant pas d’eux, hormis l’intérêt qu’elle
pouvait en retirer. Ses yeux ne le quittaient pas. Juste un cou altier et des
cils immenses, des doigts longs et graciles, mais qu’est-ce que ça pouvait bien
lui faire que cette garce soit gracile ?
En
murmurant des insanités, il renversa un énième partenaire. Le professeur siffla
la fin de la séance, et Seiya alla chercher sa serviette pour s’éponger. D’un
air négligeant, il jeta un œil sur les marches. Elles étaient désertes.
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