dimanche 10 juin 2012

Enfance délaissée : chapitre 10


Chapitre 10 : Seiya


             Elle riait.
            Elle était arrivée, sa robe froufrouteuse relevée précautionneusement par ses petits doigts, une moue dégoûtée pour les taches sur le tapis. Elle avait cherché du regard une place libre autour d’une des tables, et après avoir grimacé devant le bois dur du siège, s’était résolue à s’y asseoir. Un silence pesant s’était installé alors que les garçons observaient la petite princesse pincer les lèvres.
            Le dessin rococo du papier peint jurait avec les chaises et tables en bois massif, comme si les minces dorures ciselées délicatement pouvaient raffiner le chêne honnête du mobilier. Elle avait grimacé devant ce qu’elle considérait comme une intrusion désagréable.
  « Ah, ça fait cet effet-là d’être dans une cantine ? », s’était elle étonnée d’une voix claire.
            Ses yeux avaient balayé l’espace, s’attardant sur quelques visages contrariés.
  « Mais profitez-en bien, ces horribles chaises seront bientôt vos souvenirs les plus douillets ! », avait-elle ri.

            A côté d’elle, son infortuné voisin serrait les poings. Saori tourna la tête vers lui en souriant :
  « Ne fais pas cette tête Seiya ! Je suis venue vous apporter des nouvelles ! Vous voulez tous savoir ce qu’il va se passer, non ? »
            Il détourna le regard des yeux pers fixés sur lui. Saori eut un petit gloussement. Penchant légèrement le cou, elle agita la main gauche dans ses cheveux courts. Elle baissa les cils en une tentative de féminité précoce, et remua les doigts vers son public.
  « On vous l’a dit, ce printemps, chacun partira dans un lieu d’entraînement distinct de par le monde… Si vous n’êtes pas trop minables, vous devriez à terme gagner une sorte d’objet sacré », reprit-elle.
            Un léger chuchotement envahit la salle.
  « Bien sûr, vous devrez ensuite ramener l’objet à la Fondation après », rajouta-t-elle d’un ton acidulé.
            Un étranglement l’arrêta.
  « Et pourquoi donc ? », fit une voix sur sa droite.
            Seiya s’était retourné vers elle, les dents serrées.
  « Pourquoi quoi ? », le toisa Saori.
            Il la dévisagea :
  « Pourquoi aller dans un coin truc pour ramener un truc sacré ? Qu’est-ce que j’y gagne ? »
            Elle plissa les yeux et referma la main sur son pendentif en forme de chouette.
  « Parce que vous faites ce qu’on vous dit, point ! »
            Il tapa du poing sur la table.
  « Je ne vois pas pourquoi ! », cria-t-il presque.
            Elle se redressa. Quel impertinent ! Le son sec de la claque résonna durement dans le silence anxieux de la salle.
  « Seiya, comme tous les autres, tu feras ce que je te dis de faire, et ce, sans te poser de questions. Ce n’est pas avec ton cerveau que tu risques de m’éblouir !
  – Mademoiselle Saori, que se passe-t-il ? », demanda une voix grave.
            Tatsumi venait de rentrer dans la salle. Son costume trop petit moulait les replis de son abdomen, et les regards goguenards sur son ventre accentuaient son irritation. Fronçant les sourcils, il pointa son visage guérissant d’une ecchymose vers Seiya.
  « Tu contraries encore Mademoiselle Saori, petit insolent ? »
            Seiya ne tenta même pas de protester, à quoi bon ? Même Ikki avait été frappé par le courroux de Tatsumi. Des objets, pas même sacrés eux, ils n’étaient que des ustensiles avec une utilité quelconque. Il serra les poings et attendit. Tatsumi s’agitait, ses bras remuaient en gestes rageurs. Bla bla bla, corvées, bla bla bla, ne connaît pas sa place, bla bla bla, vais t’inculquer le respect moi. Seiya eut un sourire moqueur du coin des lèvres et hocha la tête en entendant sa sentence. Les grimaces de Tatsumi contrarié étaient comiques, et le jeune garçon avait du mal à cacher un fou rire intérieur. Heureusement Tatsumi se lassa vite et finit par le renvoyer de la cantine. Plongeant ses mains dans les poches arrière de son jean, Seiya s’exécuta. Des dizaines de regards le suivaient sans même qu’il ne le réalise, mais près de la porte de sortie il lança un clin d’œil à Jabu.
  « Pas trop déçu que Saori ne se soit pas assise à côté de toi ? », chuchota-t-il.
            Le garçon blond ouvrit la bouche pour hurler, alors que ses camarades le retenaient. Seiya s’en alla tranquillement, riant des cris injurieux qui reculaient plus en plus dans son dos.

  « Ce n’est pas très gentil ce que tu as fait », protestait doucement son adversaire de lutte.
            Seiya réprima un soupir d’agacement. Saisissant l’épaule ronde et le bras rose, il posa le pied sur le ventre contracté et passa le garçon par-dessus son propre omoplate. En un gémissement plaintif, ce denier s’écrasa sur le matelas bleu.
  « Pense à apprendre à contre-attaquer au lieu de me faire la morale ! », grogna Seiya.
            Son adversaire renversé se roula sur le côté pour se redresser.
  « Pardon Seiya », sourit-il doucement avant de rejoindre son partenaire d’entraînement suivant.
            Seiya s’ébroua. Cet endroit lui sortait par les yeux. Il voulait juste repartir, revoir sa sœur et oublier les êtres étranges du manoir. C’est alors qu’il la vit.
            Assise sur les marches du gymnase, avec sa robe meringue et les ongles vernis de lilas bonbon, Saori les regardait, le sourire aux lèvres. Sa silhouette pastel se découpait sur le mur gris, créature baroque et rose sur le béton râpeux. Elle osait venir les observer s’exercer. Que cherchait-elle ? Jaugeait-elle les futurs vainqueurs, les plaçant dans ses futures stratégies ? Se délectait-elle des perdants, trouvant humiliantes leurs prouesses médiocres ? Elle posa son regard pers sur Seiya, esquissa un sourire indéchiffrable. Il ragea en passant son adversaire suivant par-dessus son épaule.
            Elle l’énervait. Elle se croyait la plus belle, la plus puissante, juste parce qu’elle était née avec une cuillère d’argent dans la bouche et qu’elle portait des robes ridicules de princesse. Elle l’observait. Mais qu’avait-elle à part son regard perçant ? Elle ne savait que se moquer d’eux, les confondre avec des esclaves. Qu’avait-elle à part sa bouche finement ourlée ? Ce n’était qu’une égoïste, ne se souciant pas d’eux, hormis l’intérêt qu’elle pouvait en retirer. Ses yeux ne le quittaient pas. Juste un cou altier et des cils immenses, des doigts longs et graciles, mais qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire que cette garce soit gracile ?
            En murmurant des insanités, il renversa un énième partenaire. Le professeur siffla la fin de la séance, et Seiya alla chercher sa serviette pour s’éponger. D’un air négligeant, il jeta un œil sur les marches. Elles étaient désertes.


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