dimanche 24 juin 2012

L'amour ne suffit pas : chapitre 10


Chapitre 10 — Île d’Andromède


            Il devait y arriver.
            Le cosmos… Il l’avait toujours ressenti. Il ne savait même pas que la majorité des gens ne le voyait pas. Il lui avait fallu une année pour le comprendre. Energie pure… Son maître, Daidalos, lui montrait comment la maîtriser. D’hésitant, Shun était devenu confiant. Il avait craint qu’on ne lui demande de devenir un grand guerrier, avec des muscles puissants et des bras épais. Mais non, il devait apprendre à contrôler cette énergie, ce cosmos. Et ça, Shun savait faire…
            Son apparence jouait toujours contre lui. S’il avait grandi, il ne serait jamais bien haut, et ses traits doux et androgynes n’impressionnaient guère. Il s’était par contre surpris à découvrir son corps musclé, dur quand il passait la main sur sa peau. Daidalos ne lui avait jamais fait faire d’exercices si intenses en y réfléchissant. Il lui avait fait répéter des mouvements précis de combat, l’avait envoyé chercher des algues à l’autre bout de l’île, affermissant le corps mince.
            Mais Shun s’épuisait. Il s’était évanoui en entraînement. Il n’avait pas une résistance charnelle intense, il en était cruellement conscient. Il ne gagnerait jamais sur le plan purement physique.
            Le cosmos.
            C’était finalement la seule chose importante pour un chevalier. Shun savait qu’il pouvait le maîtriser à un niveau intense. Il avait demandé à subir l’épreuve du sacrifice. Ses membres fins ne supporteraient plus longtemps l’entraînement. Mais l’épreuve demandait du cosmos…
            Il devait y arriver.

            L’énergie flottait tout autour de lui. Les yeux fermés, il la sentait l’entourer. Elle balayait le sol sablonneux, elle soufflait dans les roches brunes, elle faisait respirer le ciel chaud. Il n’avait qu’à la saisir entre ses doigts, l’entourer autour de ses poignets, et la projeter où il voulait en rafale intense.
            Il serra le poing. Le cosmos en lui s’intensifia, se lia avec ce qui l’entourait. La pression de l’énergie pesait autour de Shun, l’empêchant de respirer. Il déplia ses doigts, lançant le concentré de puissance loin de lui, l’expulsant vers la roche. Il sentit le cosmos exploser en tempête sourde, déflagrer entre les atomes paniqués de la pierre.
            Le craquement lourd le tira de sa transe douce. Il leva les cils. La roche brisée tombait en cailloux pointus vers le sol. Shun sourit.
            Il y arriverait.

  « Tu es fou ! »
            June semblait fâchée depuis que Daidalos était parti sur l’île voisine chercher de quoi préparer l’épreuve. Elle avait appris la résolution de Shun froidement, et leur maître était parti trop vite pour qu’elle ne puisse protester. Elle avait alors cherché Shun, sans atteindre son but. Tremblante de rage, elle s’était assise à leur camp, attendant leur retour. Ses premiers mots n’avaient pas été amènes quand le jeune homme était rentré.
  « Tu vas mourir, tu t’en rends compte ?, avait-elle poursuivi. Tu n’es pas assez fort, tu n’arrives même pas à supporter un entraînement un peu plus intense. Tu es faible, tu n’es pas fait pour être chevalier, rentre chez toi ! », rageait-elle.
            Shun écarta les lèvres pour protester puis se ravisa. A quoi bon ? Il tourna le dos à la jeune femme et rentra dans sa petite maison. Il l’entendit crier dehors :
  « Shun ! Tu dois renoncer ! »
            Shun s’assit sur son lit et tendit la main gauche vers la photo de son étagère. Combien de temps déjà ? se demanda-t-il. Six, sept ans ? Seul l’espoir l’avait maintenu assez fort pour tout supporter. Et cet espoir était en train de mourir… s’avoua-t-il brutalement. Il serra la photo contre son front pour cacher ses yeux humides. Il n’en pouvait plus. Daidalos était un bon maître. June était gentille. Mais le soleil brûlait sa chair tendre, la chaleur l’asphyxiait. Son regard était las de ne voir que des roches sans verdure, d’oublier que la vie existait. Son corps s’était lacéré de cicatrices fines, drainant peu à peu sa foi de revenir victorieux. Ikki… Il lui avait promis.
            Shun refoula ses larmes et tenta de se détendre. Oui il passerait l’épreuve. Il la réussirait, il savait maîtriser le cosmos. Il gagnerait alors son armure et tout serait fini. Il posa la tête contre le mur et observa le mur blanc. Dehors June semblait avoir abandonné, et seul le silence habituel du vent glissant sur l’île nue résonnait. Shun laissa son rythme le bercer, calmer ses craintes. Il tendit machinalement les doigts vers son pendentif en forme de pentacle, le serra de la main droite. Les rafales balayaient la pierre, emportant un sable fin qui grésillait contre les parois, elles soufflaient loin de Shun son ébauche de désespoir. Il sourit.


            Les chaînes sur ses poignets étaient froides, et dans son dos, la roche brûlante piquait sa peau de striures en relief. Le métal le serrait de plus en plus contre elle, l’empêchait de fuir.
  « Tu es vraiment sûr ? », demanda Daidalos d’une voix grave.
            Shun opina de la tête.
            Son maître se retira pour l’observer de plus loin, June à ses côtés, peu rassurée.
            Le soleil était haut dans le ciel, chauffant doucement la chaîne. Sous les pieds de Shun, l’eau montait lentement, marée ascendante pour l’engloutir. Il ferma les yeux. Les chaînes formaient une dissonance qu’il n’avait pas prévu. Il plongea doucement son énergie en elle, cherchant comment séparer les atomes. Le métal devenait brûlant contre sa chair, rougissant sa peau en douleur aiguë. Shun se mordit les lèvres. Il sentait son épiderme gonfler en cloques intolérables par endroits. Il ne parvenait plus du tout à se concentrer, l’esprit tordu sur la souffrance.
            L’océan montait sur son corps en fraîcheur douce, léchant ses blessures de sel. Shun grimaça. Il avait oublié pourquoi il était là. Il avait oublié ce qu’il devait faire. L’acier froid du pendentif autour de son cou l’apaisa brutalement, sans qu’il le comprenne. Le souvenir tendre de son frère lui revint. Il revit ses sourires cachés, son attention quotidienne, son affection pure. Shun se rappela ses espoirs.
            Il serra les poings sur les chaînes alors que l’océan caressait son menton, et se reconcentra sur leur structure. Il voyait enfin clairement comment la faire exploser. En un soupir, il rompit les anneaux. C’était si simple… Devant lui, Daidalos ouvrait la bouche de stupeur, et les épaules rigides de June s’affaissèrent de soulagement. Shun sourit.
            Il avait réussi.


            Il avait salué son maître. Le bateau l’attendait et June l’avait accompagné.
            Avant qu’il ne monte dans le zodiac, elle le serra doucement dans ses bras. Shun, surpris de ce mouvement d’affection, rendit maladroitement l’accolade.
  « Prends soin de toi ! », chuchota-t-elle.
            Il lui sourit.
  « Toi aussi ! Je suis sûr que tu gagneras certainement ton armure. »
            Il l’entendit soupirer.
  « Peut-être… Peut-être nous reverrons-nous un jour ?, demanda-t-elle.
  – Nous sommes amis, répondit-il gaiement, ce sera avec plaisir.
  – Shun… »
            Le pilote du bateau bougonna derrière eux. Shun posa doucement une main sur l’épaule de sa camarade.
  « Je dois y aller… »
            Il monta dans le zodiac et s’assit, la boîte de son armure à ses côtés. Il sourit à June en la saluant du bras tandis que le bateau s’éloignait.
            Sur la berge, la jeune fille regarda l’embarcation s’éloigner vers l’horizon rouge. C’était un mauvais présage. Elle suivit le bateau du regard, jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue. Le vent du soir souffla dans ses cheveux blonds, chuchotant la mélopée du crépuscule.
            A regret, elle tourna le dos à la mer.

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