Chapitre 12 : Saori et Seiya
« C’est
une île maudite ! Personne n’en est jamais revenu avec l’esprit sain. Soit
on y meurt, soit les rares qui s’en sortent sont devenus fous ! »
La
voix flûtée savourait chaque mot, goûtant les yeux exorbités qu’ils
produisaient. Elle eut un rire léger et poursuivit :
« On dit que des
démons y vivent, et qu’ils susurrent à l’oreille le désespoir. Ceux qui y sont
allés se sont laissé mourir de chagrin, et ceux qui ont su résister ont eu l’esprit
détruit par ces murmures. Les faibles meurent vite, et les forts sont brisés.
Oui, telle est l’île de Death Queen. »
Autour d’elle, les voix muant grondèrent en brouhaha
indistinct. Saori se redressa sur sa marche, plongeant un regard qu’elle
voulait sévère sur la foule agglutinée en bas de l’escalier.
Ils
étaient venus lui demander ce qu’elle savait sur les destinations où ils
seraient envoyés. Elle devait le savoir, elle était l’héritière Kido. Avec un
sourire acidulé, elle avait soupesé son petit doigt, et l’avait agité vers eux.
Athènes, la Sibérie, l’Algérie, et autres noms qu’ils ne connaissaient pas.
Puis, elle avait fait virevolter sa robe rose, et avait décidé de les effrayer.
Cette île, l’un d’entre eux y irait vraiment. Elle avait vu le visage grave de
son grand-père quand on lui avait décrit la destination. Elle n’avait pas trop
compris pourquoi on devait y envoyer
un des garçonnets, mais elle supposait que son grand-père savait ce qu’il
faisait.
« Je ne te crois pas,
tu mens ! »
La voix claire de Seiya s’éleva sur la marche voisine.
Saori baissa les yeux et le regarda de haut :
« Mais sans doute sera-ce toi qui y seras
envoyé Seiya, non ? Un tel lieu dompterait tes ardeurs.
– Et
pourquoi pas les vôtres ? », sortit sans réfléchir le concerné.
Un coup de poing heurta sa joue tannée, assorti d’un
grondement :
« Parle correctement à Mademoiselle
Saori ! »
Seiya frotta son visage meurtri avec un sourire félin.
« Jabu… Tout le monde n’est pas aussi
fayot que toi… »
Le garçon blond se rua sur son camarade, se lançant dans
une mêlée virevoltante. Saori fronça les sourcils, un léger contentement caché
au coin de ses lèvres. Elle pinça sa robe et remonta l’escalier d’un pas
léger :
« Tatsumi ! Ils se
battent ! », appela-t-elle.
Le majordome arriva au cri de sa maîtresse, braillant
injures et réprimandes, sans succès. Saori tourna sa tête vers la scène. Les
adolescents devenaient progressivement intenables. Il était grand temps de les
éloigner.
Il
ne semblait pas concerné, pas un seul soupçon d’intérêt n’avait traversé ses
grands iris bleus. Son camarade de chambre avait essayé de lancer la
conversation plusieurs fois, en vain. Refroidi par l’indifférence passive de
son interlocuteur, Shiryû avait renoncé à l’interroger, et s’était dissimulé
dans sa lecture. Alangui sur sa chaise, les cheveux longs coincés derrière
l’oreille, il cornait les pages mécaniquement, tentant de se ressourcer sur le
texte granuleux.
« Je m’en
moque… », s’éleva la voix glacée sur sa gauche.
Hyôga s’était allongé sur son lit, un bras nu replié sur
son visage. La bouche entrouverte laissa échapper un soupir.
« Je m’en moque de savoir où je vais…
Ici ou ailleurs, quelle différence ? Alors quel que soit le pays, je ne
serai toujours pas un réel habitant… Donc dis-moi Shiryû, pourquoi devrais-je
m’y intéresser ? »
Il redressa la tête, la chevelure en halo emmêlé. Shiryû
protesta d’un ton non convaincu :
« Hyôga… »
Son ébauche de contestation s’arrêta sous la brise givrée
du regard du jeune Russe. Il jugea bon de changer de sujet.
« Tu ne vois plus trop ton ami ces
derniers jours, vous vous êtes disputés ?
– Non… On s’entend très bien… Il veut
juste… »
Posant
ses deux mains à plat sur le rebord du lit, il tourna son corps souple en
position assise. Il passa les doigts dans ses boucles blondes, heurtant
machinalement les nœuds.
« Il a lui une réelle
raison d’angoisser à l’idée de partir, et veut profiter de chaque instant avec
son frère, alors…
– Ah…
Mais il a peut-être quelques minutes à… »
Un regard gelé lui fit renoncer soudain à argumenter. Il se
redressa maladroitement, s’avança de quelques pas, et posa la main sur l’épaule
ronde. Hyôga leva ses yeux de glacier. Shiryû frémit sous la dureté et tapota
nerveusement la peau nue en une tentative d’apaisement. Il sentit l’adolescent
frémir mais ce dernier se retint de protester, comprenant l’intention amicale.
Shiryû soupira.
Il n’irait nulle part, il l’avait décidé.
Que la pimbêche retourne pleurer sous le pompon d’honneur
de son grand-père, il s’en moquait. Il voulait juste retourner voir sa sœur.
L’orphelinat ne devait pas être si loin. S’il arrivait à se faire discret en
longeant la clôture, peut-être que personne ne le remarquerait. Le mur était
haut, et les arbres étaient soigneusement plantés assez loin de lui. Mais il
avait remarqué un coin où les briques s’égratignaient en légers creux. Un
adolescent léger comme lui pouvait peut-être s’y glisser…
Il
lava sous la douche ses ecchymoses en grimaçant légèrement. Les muscles avaient
gonflé sous son corps changeant, et il n’était pas encore habitué au contact
plus dur de sa peau. Il ferma les yeux en tentant d’imaginer la scène. Aller
docilement vers sa punition dans le gymnase. Personne n’y serait. Attendre
quelques minutes. Puis ressortir discrètement et courir vers le mur. L’endroit
où il pouvait sortir était à une minute de la sortie, ce ne serait pas long.
Oui il ferait ça.
Se
souvenant de son plan du mieux qu’il pouvait, il sortit de la salle de bains
pour tenter de le mettre en action. Le début se passa bien malgré un accroc. Seiya
se rendit dans le gymnase et s’empara du balai. Un surveillant avait jugé bon
d’observer sa punition. En serrant des dents, Seiya donna des coups mous sous son
nez. Le surveillant hochait nonchalamment le nez. Après quelques bâillements,
ce dernier trouva le rythme hypnotisant du ménage trop ennuyeux pour rester
dans la même salle. Seiya l’entendit sortir et esquissa un sourire acerbe.
Se
forcer à attendre encore un peu, encore un peu… Sa patience s’usa plus vite que
ce qu’il avait prévu mais la chance était avec lui. En sortant, personne
n’était en vue. Il courut vers le mur qui entourait le manoir. Les pierres
avaient dû être blanches un jour, mais elles s’étaient grisées avec le temps,
la pluie, et les doigts des enfants. Seiya fit glisser ses mains sur leur
surface rugueuse, avançant précipitamment. Oui ses espérances, sa sœur, la
sortie étaient par-là.
Un
chêne imposant s’élargissait au soleil à quelques mètres seulement, pour mieux
narguer les rêves d’escapade. Ses branches trop éloignées pour arriver au mur
se contentaient de projeter leur ombre sur les briques grises, souffle végétal
amer. Mais c’était là. Les pierres usées s’étaient effritées légèrement et le
chemin se dessinait vers le haut du mur. Seiya sourit.
Il
lança ses mains dans les trous et tenta de se hisser. Il ne maîtrisait plus
trop l’équilibre de son corps grandissant et son centre de gravité lui semblait
avoir changé à chaque fois. Mais il voulait s’enfuir, oh oui s’enfuir et il
planta ses doigts dans les trous des briques, écorchant ses phalanges. Il tenta
d’enfoncer le bout de sa basket dans les creux du bas, mais son pied était
devenu trop large pour ça. Rageur, Seiya essaya de se dresser par la force de
ses seuls bras. La douleur au bout de ses doigts s’approfondit et en un cri il
lâcha.
Un
rire aigu venait du chêne. Allongé par terre suite à sa chute, Seiya redressa
le regard vers l’arbre. Elle avait grimpé sur une des branches et s’était
cachée dans la verdure. Une feuille retroussant sa frange, son minois délicat
ne pouvait cacher le fou rire qui l’habitait.
« Mais
qu’espérais-tu Seiya ? Oh vilain tu voulais t’enfuir ? »,
pépia-t-elle.
Seiya
se releva et essuya ses mains meurtries et sablées sur l’arrière de son jean.
« Mademoiselle, une jeune fille de votre rang ne devrait pas être
dans un arbre à nous espionner, menaça-t-il.
– C’est
chez moi ici ! J’ai le droit d’être où je veux, même dans un arbre,
protesta-t-elle. Et puis je t’ai vu tenter de t’enfuir alors que tu étais déjà
en punition, siffla-t-elle, les lèvres retroussées sur les dents.
– Je ne
m’enfuyais pas, je m’entraînais à faire de l’escalade », mentit-il en
croisant ses bras derrière la tête.
Elle
dégagea ses cheveux châtain doré des feuilles et plissa des yeux.
« Je
t’ai vu, tu t’enfuyais, et tu n’es pas resté plus de dix minutes à nettoyer le
gymnase.
– Ca fait
de moi un porc, pas un évadé », contesta tranquillement Seiya, les yeux
fermés.
Saori
saisit une branche et la cassa d’agacement. Comment osait-il protester ?
Il allait voir ! Elle se glissa vers le tronc et commença à descendre.
Imperturbable, Seiya s’était mis à siffloter. Elle griffa l’arbre de ses ongles
par frustration et se laissa glisser vers le sol. Il chantonnait un air
enfantin. Il n’était pas impressionné par la menace qu’elle faisait peser sur
lui. Ce n’était pas normal. Le pied de Saori trébucha en touchant le sol, et elle
se sentit tomber. Elle ouvrit la bouche pour crier.
Pourquoi
l’avait-il rattrapée ? Avant que son corps ne chute complètement, il avait
couru et avait posé ses bras sous ses épaules. Essoufflée, elle se dégagea de
lui, les lèvres pincées. Il rit avec un sourire bon enfant.
« Mademoiselle, vous ne devriez pas nous donner le mauvais
exemple. »
Elle
remit sa veste de velours corail en place et le dévisagea.
« Pour
ceci, et uniquement ceci, insista-t-elle en levant l’index, je vais oublier ce
que je t’ai vu tenter de faire. Mais garde-toi de n’en parler à
personne ! »
Il
fit une révérence gauche en souriant.
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