dimanche 10 juin 2012

Enfance délaissée : chapitre 5


Chapitre 5 : Seiya

  « Venez, venez ! »
        La voix enjouée de l’enfant retentissait dans le gymnase fermé. Il riait, ses camarades  suivant sa course d’échauffement. Levant le poing, il encouragea :
  « Allez, allez, plus vite ! »
        Une clameur enthousiaste lui répondit alors qu’il pressait le pas.

        Dans un coin de la salle, seul un petit groupe ne participait pas. Alanguis contre le mur, ricanant entre eux, ils ne voulaient pas se mêler à ceux qui trottaient.
  « Eh, Seiya !, lança un. Tu veux les entraîner à fuir plus vite ? »
        Le garçon en tête de course s’arrêta et regarda celui qui venait de lui parler.
  « Non Jabu, juste à être plus costauds que vous qui n’en glandez pas une !, rétorqua-t-il.
  – Pfff », postillonna Jabu.
        Mains dans les poches, il se décolla du mur et vint à la rencontre du garçonnet :
  « Ah Seiya… Les femmelettes, ce ne sont vraiment pas nous ici. Mais Mlle Saori nous a demandé d’attendre le professeur. Toi bien sûr, tu te la joues, ça ne prend pas avec moi. »
        Seiya plissa les yeux et la bouche en un rictus railleur.
  « Qui joue ici ? Tu es…
  – Seiya !, l’interrompit une voix grave. Je t’ai déjà interdit de te bagarrer avec tes camarades ! »
        Le garçon se retourna pour voir la forme massive de son professeur. Il haussa les épaules :
  « Mais Monsieur, on ne se battait pas !
  – Je t’ai à l’œil petit gars. Pas de moqueries, ni de bagarres. Ne recommence pas, c’est tout, affirma le professeur.
  – Oui Monsieur ! »
        Une silhouette petite et mince se dégagea de derrière l’adulte. Habillée comme une poupée dans sa robe à frous-frous, un ruban dans les cheveux, Saori posa une main sur le bas du T-shirt du professeur.
  « Monsieur…, commença-t-elle en montant les yeux, je crois que Seiya avait déjà eu un avertissement, ne devrait-il pas être puni d’avoir recommencé ? »
        Seiya ouvrit la bouche de protestation. Le professeur regarda d’un air gêné la fillette puis soupira.
  « Oui Mademoiselle, vous avez raison. Seiya, reprit-il, après le cours, je veux que tu nettoies le sol des douches.
  – Mais Monsieur, je n’ai pas commencé, et puis après, on a un match et je suis le cap…
  – Je ne veux pas savoir vos histoires, et pour le match, il fallait y penser avant. »
        Seiya serra les dents et donna un coup de pied dans le vide. Le professeur engloba les enfants des yeux.
  « Il manque quelques personnes de votre groupe, remarqua-t-il.
  – Shun a ses règles, il ne peut pas venir, son frère est parti lui chercher des tampons, gloussa anonymement un des jeunes garçons.
  – J’ai dit "pas de moqueries" !, gronda le professeur. Bon, tant pis, je les marque absents. »
        Il griffonna deux noms sur son cahier.
  « Vous vous êtes déjà échauffés j’espère ?
  – Oui Monsieur, on a couru !, lança un Seiya triomphant.
  – Bien mon garçon, non ça ne change rien pour ta punition, rajouta-t-il précipitamment avant que Seiya n’ait le temps de demander. En avant jeunes hommes ! »

        Saori s’assit précautionneusement sur les gradins, en grimaçant légèrement devant la propreté douteuse. Réajustant le nœud de ses cheveux, elle contempla le professeur guider ses élèves dans leurs mouvements. Leurs muscles naissants se contractaient sous leur haut, et leurs bras s’enflaient sous leurs efforts. Saori sourit de satisfaction.

  « Je suis le roi du monde ! Ouais, le roi de la douche ! »
        Seiya marmonnait gaiement en agitant son balai. L’odeur javellisée rongeait ses narines, mais pour lui, ça sentait la piscine, et il aimait s’en intoxiquer. Se balançant au bout du manche, il rêvassait sur les mille tortures qu’il pourrait infliger à Jabu. Il ferait fondre du chocolat dans son caleçon, pipi dans son shampoing, il cacherait des cornichons dans ses chaussures, mettrait de la glu sur sa brosse à cheveux. Un sourire niais aux lèvres, Seiya triomphait dans ses pensées.
  « Je vais t’aider, dit une voix douce, le réveillant soudain.
  –Shun ?, s’étonna-t-il. Tu n’as pas besoin de…
  – C’est ma punition pour ne pas être venu. »
        Shun sourit en regardant son camarade :
  « Et puis à deux, on ira plus vite, non ? »
        Seiya eut un hoquet d’acquiescement alors qu’il haussait les épaules. Shun s’appliquait, soigneusement, il commençait par les coins et poursuivait en passages serrés, bien loin des vagues mouvements de Seiya.
  « Shun…, protesta Seiya. Pas besoin d’être aussi heu, c’est quoi le mot déjà ? Mét… Métis ? Méti-truc…
  – Méticuleux ?, proposa Shun
  – Ouais, métis-cul-eux. On s’en fout que ça soit nickel, poursuit-il sans même remarquer le haussement de sourcil de son camarade.
  – Moi ça m’importe, répliqua gentiment Shun, je m’y lave après tout !
  – Mouais, on peut voir ça comme ça… »
        Ce type était vraiment bizarre ! Pas méchant, oh non, mais étrange. Contrairement aux autres, Seiya ne trouvait pas que ça valait le coup de l’ennuyer pour le voir pleurer. C’était trop facile. Il se contentait de ne pas être trop souvent à côté de cette singularité. Ce n’était pas son côté plus intellectuel que physique, ni sa douceur. Non, c’était plus qu’il ne correspondait pas aux règles tacites d’un groupe de pré-adolescents. Seiya ne saisissait pas bien le pourquoi, il le ressentait juste. Franchement, Shun, il était bizarre !
  « Dis, pourquoi t’es pas venu ?, demanda soudain Seiya.
  – Ah hum, et bien… Ikki voulait m’entraîner, alors, continua Shun, on est allé en forêt, il est très fort tu sais !
  – Ouais ouais, on sait…, soupira Seiya.
  – Il sait très bien boxer, il m’a montré, mais moi… Moi, je ne sais pas faire, finit Shun en baissant la tête, une moue dépitée dessinée sur son visage.
  – Sûr que la lutte et toi… »
        Parfois, Seiya se demandait pourquoi Shun était là. Il n’avait rien des guerriers qu’on disait qu’ils deviendraient. A part pour rester aux côtés de son frère, il ne voyait pas. Mais non, ça ne pouvait pas être ça, sinon, Seika serait venue avec lui, non ? Réprimant une jalousie soudaine, Seiya se mit à astiquer vigoureusement.


Suite -> Chapitre 6

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire