Chapitre 11 : Ikki (et Shun)
La
neige avait emmitouflé le sol froid d’une couche douce et moelleuse. Sur les
branches chargées, les oiseaux repoussaient les flocons en sautillant et
allaient picorer dans les boules de graisse qu’on leur avait pendues. Le ciel
était d’un bleu pur et rayonnait sur le jardin encore immaculé, faisant craquer
la couche blanche.
Sur
la pelouse dissimulée, un peu plus loin des érables, les deux garçons riaient
beaucoup. Ils avaient rassemblé de la neige et l’avaient roulée en bonhomme du
bout de leurs moufles colorées. L’un se redressa et courut vers l’emplacement
des futures tulipes. Il ôta son gant et souleva précautionneusement le plastique
de protection de sa main couverte. Il prit deux cailloux d’ornement et repartit
en trottant vers le bonhomme. Un sourire ravi gravé entre ses joues rosies par
le froid, il plaça les yeux, encouragé par son camarade.
Derrière
la fenêtre, dans le manoir, les observant d’un œil soupçonneux, Ikki tirait sur
le bas de son pull. Shun avait l’air heureux, il riait beaucoup sous sa capuche
verte. Hyôga était tout sourire, loin du visage austère qu’il montrait aux
autres. Ces deux-là s’entendaient visiblement bien. Ikki se mordit les lèvres.
Il savait fort bien que Hyôga aimait beaucoup Shun, mais il s’inquiétait.
L’adolescent blond passait trop de temps à être raillé et railler en retour pour
être un gardien correct. Non, en fait, il ne voulait pas être un gardien, il
voulait juste être un ami. Et Shun semblait s’en accommoder, pire il semblait
apprécier.
Ikki
soupira. Peut-être était-il trop proche de son frère, peut-être lui faisait-il
trop de l’ombre pour que ce dernier puisse grandir. Il le savait, lui avait
même dit. Oui, mais… Mais si Shun n’avait
plus besoin de lui, quelle place aurait-il alors ? Ses doigts se
serrèrent en poing rigide. Il n’avait été que protecteur, il ne savait pas
avoir un autre rôle, et si on le lui ôtait, Shun lui sourirait-il toujours
comme il souriait actuellement à Hyôga ?
Il
tourna le dos à la fenêtre, refusant de continuer à regarder la scène
tranquille. Ses yeux tombèrent sur le lit de Shun. L’écharpe était verte, avec
des torsades de laines et des franges de brins. Ikki se sentit brusquement mal.
Il attrapa l’étoffe olivâtre et descendit en courant presque. Sa parka fermée à
la va-vite laissait l’air froid s’introduire plus près de sa peau, mais il n’en
avait cure. Son cœur bien trop chaud accueillait ce frais avec légèreté,
brûlant trop fort pour être inquiété. Ikki parvint dans le jardin, furie rouge
avançant rapidement. Shun tourna la tête sur un rire enthousiaste :
« Ikki, tu veux te joindre à nous ? »
Ses
mains gantées étaient posées sur l’épaule du bonhomme, tassant la neige. De
l’autre côté, les moufles bleues de Hyôga avaient cessé de tapoter. D’un air
renfrogné, le jeune Russe regardait le grand frère envahissant, refusant de
protester. Shun s’avança vers Ikki. Ce dernier inspira et tendit l’écharpe
verte :
« Tu as
oublié ton écharpe Shun », articula-t-il d’une voix qui se voulait la plus
monocorde possible.
Shun
sourit.
« Merci ! Mais ce n’était pas la peine, Hyôga m’a prêté la
sienne, regarde ! », s’exclama-t-il d’une voix enjouée en désignant
sa gorge.
Le
tissu de laine azur s’enroulait autour du cou fin en plusieurs tours. Ikki
fronça les sourcils.
« Mais
Hyôga doit avoir besoin de son écharpe », protesta-t-il.
Ikki
regarda le jeune garçon blond qui se força à sourire.
« Ce
n’est pas grave, expliqua-t-il, j’ai l’habitude moi, je pourrais me balader
bras nus, il ne fait pas si froid pour moi.
– Quand
même…, maintint Ikki, ce n’est pas bien. Et puis je suis descendu, autant en
profiter. »
Il
ôta l’écharpe bleue du cou de Shun et la tendit à Hyôga, pour la remplacer par
la laine verte. Les joues de Shun étaient rosies par le froid, mais les lèvres
souples y creusaient des fossettes sous son sourire. Ikki se sentit troublé. Shun
ne protestait pas alors que lui-même se sentait devenir abusif. Hyôga avait mis
son écharpe, et le tissu céruléen collé à son nez, il attendait visiblement,
les yeux dans le loin. Vaguement honteux, Ikki retira ses doigts du cou de son
frère et marmonna :
« Amusez-vous bien mais ne rentre pas trop tard Shun hein !
– Bien sûr,
promis ! », fit la voix enjouée derrière lui alors qu’il rentrait à
toute vitesse.
Le
vent froid soufflait sur ses mains nues, caressant les phalanges crispées,
piquant la pulpe des doigts. Il ferma la porte du manoir derrière lui, coupant
court à toutes ses promesses.
Il
s’était assis sur son lit, avait saisi un livre, et s’était plongé dedans.
C’était un policier, et l’enquêteur devait faire face à une belle voleuse aux
mille visages. Le livre était court, et la criminelle agonisait déjà que Shun
rentrait. Ce dernier retira ses moufles, rabattit sa capuche, et se tourna vers
son frère.
« Ikki, tu aurais dû rester ! On s’est bien amusés !
– Hum,
répondit machinalement Ikki, refusant de se détourner des dernières pages.
– D’abord
Jabu est arrivé et puis…, poursuivait Shun.
– Hein,
Jabu ?, le coupa Ikki, levant un œil surpris. Je croyais que tu ne
t’entendais pas trop avec lui, ou plutôt qu’il t’en faisait voir de toutes les
couleurs. »
Shun
rit en ôtant son anorak et son écharpe. Il passa les doigts dans ses cheveux,
les agita pour regonfler le tout.
« Mais
ça, c’était avant Ikki, reprit-il en pépiant, ce n’est pas bien grave, alors on
peut passer à autre chose.
– Pas bien
grave ? », s’écria Ikki.
Il
lâcha son livre, bondit de son lit et s’empara du poignet de son frère.
« Pas
bien grave Shun ? Je soigne les blessures que lui, entre autres, te fait
depuis près d’un an, pas grave ? »
Le
sourire de Shun s’effaça en une mine concernée. Il posa sa main libre sur
l’épaule de son frère, contact aussi léger qu’une plume.
« Ikki, je n’oublie pas mais… Mais on doit avancer, non ?,
chuchota-t-il. A quoi bon garder une rancune qui ne ferait que me
ronger ? »
Ikki
lâcha le poignet de son frère, et recula, décontenancé. Shun gardait la bouche
entrouverte, ses yeux de prairie baignée de soleil lui priant de s’y reposer.
Ikki lui jeta un regard froid.
« C’est lui qui t’a appris des choses pareilles, non ?
– Qui
ça ?, s’étonna Shun.
–
Hyôga. »
Le
garçon châtain écarta les lèvres d’étonnement, les iris dilatés.
« Non... Non, c’est mon idée à moi.
–
Bien. »
Le
regard d’Ikki s’adoucit légèrement. Il se rapprocha de son frère et posa les
mains sur les omoplates de son frère, plongeant légèrement les doigts dans le
pull. Il soupira.
« Bien
Shun, mais je n’approuve pas. Vraiment pas. »
Shun
sourit et serra la main gauche de son frère.
« Merci Ikki…
– Viens
là… »
Ikki
serra son frère entre ses bras, caressant les cheveux épais, respirant l’odeur sucrée
qui s’échappait de la peau douce.
« Je
suis très fier de toi ! », déclara-t-il en ébouriffant la tête
châtain.
Un
rire lui répondit.
« Puisque nous allons bientôt être séparés… », commença le
jeune homme brun.
Il
alla vers la commode et ouvrit un tiroir. Shun le regarda en penchant la tête.
Ikki avait sorti une boîte et était revenu vers son frère. Il la posa dans les
mains de Shun.
« Tiens, ça appartenait à notre mère, je pense que ça te ferait
plaisir d’avoir un souvenir. »
Shun
redressa vers lui des yeux souriants.
« Et
puis, tu es un grand garçon maintenant », rajouta Ikki.
Shun
rit. Il ouvrit la boîte, elle contenait un pendentif en forme de pentacle. Il
semblait être fait d’argent massif et une inscription était gravée
dessus : Yours ever.
« A
toi, à jamais, traduisit-il en souriant. Oh Ikki, c’est splendide,
merci ! »
Il
jeta les bras autour du cou de son frère qui le berça un instant. Ikki saisit
le menton de Shun.
« Il
te plaît ?
–
Enormément ! », babilla Shun en le attachant la chaîne derrière sa
tête.
Ikki
retourna s’assoir sur son lit et regarda l’adolescent en souriant.
« Tu
n’auras bientôt plus besoin de moi, alors je veux que tu te souviennes quand
même de moi plus tard.
–
Hein ? Pourquoi est-ce que je ne me souviendrais plus de toi ?,
s’étonna Shun.
– Parce
que… Parce que tu n’auras plus besoin de moi, finit par avouer Ikki.
– C’était
donc ça… »
Shun
en oublia de refermer la bouche, tant la perplexité l’avait envahi. Il choisit
d’en sourire et vint s’asseoir sur les genoux de son frère. Collant sa tête sur
sa poitrine, il encercla le torse musclé de ses bras fins.
« Ikki, je t’aime… Rien ne peut changer ça, je t’aime… »,
murmura-t-il.
Etouffant
les larmes qui montaient, le jeune homme brun serra le corps mince contre lui,
le pressant contre son cœur bouillonnant. Oui, l’amour pouvait suffire à ce
qu’il se souvienne de lui, peut-être n’avait-il besoin de rien d’autre. Il posa
un léger baiser sur les cheveux de son frère.
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