Chapitre 3 — Sibérie
Le
vent glissait sur la neige verglacée, craquements frêles sous la caresse de la
bise. Le glacier fondait son bleu dans l’horizon gelé, et le soleil impitoyable
faisait miroiter le paysage en diamant azuré. Se plongeant dans une des
facettes, il soupira.
Le
froid était mordant, mais il avait appris à l’accepter. Il le laissait courir
sur ses épaules nues, jouer sur sa peau frêle. Le froid le frôlait, mais il
n’entrait pas dans ses pores, il tentait de pénétrer dans la chair douce, mais
le jeune garçon savait comment lui en interdire l’accès.
Il
rentra les mains dans ses poches et balança son pied contre la neige molle.
Elle s’accrocha à ses guêtres et il tapa son talon sur le sol pour la faire
tomber. Son maître ne devrait plus tarder maintenant. Il était juste parti une
demi-journée cette fois-ci, un temps court par rapport à d’autres fois. Le
jeune garçon en avait profité pour s’entraîner. Il avait frappé le sol, tentant
de le fendre, essayé de percevoir le "cosmos" dont son maître parlait
tant. Il voulait devenir le chevalier preux d’Athéna.
La
silhouette apparut au lointain. Les longs cheveux roux flottaient en fils
fragiles, toile fine et flamboyante sur le blafard de la neige. Le corps mince
avançait rapidement en pas assurés, une main sur l’épaule de son voisin.
C’était un jeune garçon, d’une dizaine d’années, au regard un peu hagard sur le
ciel bleu.
« Maître Camus… », salua-t-il.
Ce
dernier baissa le regard vers l’adolescent.
« Isaak… », commença-t-il.
Camus
poussa le garçon avec qui il était arrivé.
« Voici Hyôga. Il s’entraînera avec nous maintenant. »
Isaak
haussa légèrement le sourcil. Tous ses camarades étaient partis, pas un seul
n’avait réussi à supporter l’entraînement de chevalier. Tous, sauf lui. Ce
nouveau, s’enfuirait-il aussi ? Isaak le dévisagea.
Il
avait un nez fin, et des lèvres finement ourlées. Sa peau claire semblait avoir
été tannée par le soleil, et une ébauche de muscles se devinait sous la chair
des bras nus. Ses cheveux encadraient son visage dur en auréole dorée, et ses
yeux reflétaient le glacier. Un ange des neiges, renifla Isaak. Saurait-il se
montrer fort ?
Mais
Isaak sourit et lui tendit la main.
« Bienvenue Hyôga ! J’espère que tu te plairas
ici ! »
Le
jeune garçon blond eut un sourire franc en retour et serra la main tendue avec
force. Cela plut à Isaak.
« Merci ! Je suis sûr que je me plairai ! »,
répondit Hyôga.
Camus
les fixa d’un air froid. Isaak le connaissait maintenant assez bien pour savoir
que les légers plis qui s’étaient creusés autour de sa bouche et ses yeux
vaguement rétrécis étaient le signe de son contentement. Camus aimait que ses
élèves s’apprécient, et il était satisfait du comportement de ces deux-là.
Il
s’écarta légèrement, flamme brûlante sur la banquise. Il dressa légèrement la
main droite en un geste souple.
« Ne
perdons pas de temps, déclara-t-il. Il est l’heure de s’entraîner ! »
Isaak
se tourna aussitôt vers son maître. En un mouvement hésitant, Hyôga l’imita.
« Bien… »,
murmura Camus en français.
Hyôga
jeta un œil interrogateur vers Isaak qui ne le vit même pas.
« Nous
sommes sur une étendue glacée. Sous nos pieds se trouve la mer de Kara »,
expliqua Camus.
Isaak
vit son voisin tressauter soudain. Sans doute avait-il peur que la banquise ne
se brise sous lui.
« Vous
savez tous deux bien entendu que la glace est de l’eau aussi. C’est juste que
les atomes sont devenus si froids qu’ils ne bougent plus. »
Camus
haussa soudain un sourcil interrogateur :
« Je
sais qu’Isaak sait ce que sont les atomes, mais toi Hyôga ?, demanda-t-il
au jeune garçon blond.
Ce
dernier s’empourpra légèrement.
« J’ai… j’ai cru comprendre que c’était de toutes petites
particules, invisibles à l’œil nu, qui s’agglomèrent pour composer les
choses. »
Hyôga
sentit le regard brun s’attarder sur lui, le jauger. Puis les yeux de Camus
s’étrécirent en un sourire invisible.
« Bien...
Ce n’est pas très scientifique, mais ça suffit pour le moment. »
Il
s’agenouilla et posa la main sur la poudreuse légère, ses doigts s’imprimèrent
sur le sol blanc. Puis il sembla au jeune Russe qu’une légère aura l’entourait,
halo infime et doré autour du corps mince. Le craquement soudain terrifia le
garçon. Il avait grondé sur la neige, déchiré l’ouate de l’air. Hyôga frémit. A
ses côtés, Isaak paraissait habitué. Le jeune Russe regarda son maître. La
glace avait rompu sous la main pâle du Français, en un gouffre profond. On
discernait l’épaisseur de la glace et la mer scintillait en dessous.
« Ceci
n’est rien, reprit doucement Camus. Ce que je veux vous faire voir, c’est
comment reconstituer cette glace. »
Hyôga
ouvrit légèrement la bouche. Reconstituer ? Que voulait dire son nouveau
maître ? Puis il distingua. L’eau sombre dans le trou cessait de bouger,
en une rigidité crissante, elle s’épaississait en glace bleue, gonflait contre
les parois. Et au-delà… Il les voyait. Les atomes cessaient de bouger,
s’apaisaient. Camus chantait une berceuse, une chanson douce comme celles que
lui fredonnait sa mère, et les atomes écoutaient, s’endormaient.
Hyôga
releva les yeux sur son nouveau maître, percevant brusquement la bienveillance
tranquille sous l’apparence froide. Ce dernier esquissa une bribe de sourire et
se tourna vers Isaak :
« Tu
vas enfin avoir une vraie concurrence Isaak. Montre-lui les lieux. »
En
un rire franc, Isaak saisit la main de Hyôga et le conduit. Hébété, Hyôga
ouvrit les yeux sur sa nouvelle vie. Sur une banquise où psalmodiait le froid
chaleureux, ses souvenirs ancrés sous le sol. Tout serait parfait.
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