dimanche 10 juin 2012

L'amour ne suffit pas : chapitre 3


Chapitre 3 — Sibérie


            Le vent glissait sur la neige verglacée, craquements frêles sous la caresse de la bise. Le glacier fondait son bleu dans l’horizon gelé, et le soleil impitoyable faisait miroiter le paysage en diamant azuré. Se plongeant dans une des facettes, il soupira.
            Le froid était mordant, mais il avait appris à l’accepter. Il le laissait courir sur ses épaules nues, jouer sur sa peau frêle. Le froid le frôlait, mais il n’entrait pas dans ses pores, il tentait de pénétrer dans la chair douce, mais le jeune garçon savait comment lui en interdire l’accès.
            Il rentra les mains dans ses poches et balança son pied contre la neige molle. Elle s’accrocha à ses guêtres et il tapa son talon sur le sol pour la faire tomber. Son maître ne devrait plus tarder maintenant. Il était juste parti une demi-journée cette fois-ci, un temps court par rapport à d’autres fois. Le jeune garçon en avait profité pour s’entraîner. Il avait frappé le sol, tentant de le fendre, essayé de percevoir le "cosmos" dont son maître parlait tant. Il voulait devenir le chevalier preux d’Athéna.
            La silhouette apparut au lointain. Les longs cheveux roux flottaient en fils fragiles, toile fine et flamboyante sur le blafard de la neige. Le corps mince avançait rapidement en pas assurés, une main sur l’épaule de son voisin. C’était un jeune garçon, d’une dizaine d’années, au regard un peu hagard sur le ciel bleu.

  « Maître Camus… », salua-t-il.
            Ce dernier baissa le regard vers l’adolescent.
  « Isaak… », commença-t-il.
            Camus poussa le garçon avec qui il était arrivé.
  « Voici Hyôga. Il s’entraînera avec nous maintenant. »
            Isaak haussa légèrement le sourcil. Tous ses camarades étaient partis, pas un seul n’avait réussi à supporter l’entraînement de chevalier. Tous, sauf lui. Ce nouveau, s’enfuirait-il aussi ? Isaak le dévisagea.
            Il avait un nez fin, et des lèvres finement ourlées. Sa peau claire semblait avoir été tannée par le soleil, et une ébauche de muscles se devinait sous la chair des bras nus. Ses cheveux encadraient son visage dur en auréole dorée, et ses yeux reflétaient le glacier. Un ange des neiges, renifla Isaak. Saurait-il se montrer fort ?
            Mais Isaak sourit et lui tendit la main.
  « Bienvenue Hyôga ! J’espère que tu te plairas ici ! »
            Le jeune garçon blond eut un sourire franc en retour et serra la main tendue avec force. Cela plut à Isaak.
  « Merci ! Je suis sûr que je me plairai ! », répondit Hyôga.
            Camus les fixa d’un air froid. Isaak le connaissait maintenant assez bien pour savoir que les légers plis qui s’étaient creusés autour de sa bouche et ses yeux vaguement rétrécis étaient le signe de son contentement. Camus aimait que ses élèves s’apprécient, et il était satisfait du comportement de ces deux-là.
            Il s’écarta légèrement, flamme brûlante sur la banquise. Il dressa légèrement la main droite en un geste souple.
  « Ne perdons pas de temps, déclara-t-il. Il est l’heure de s’entraîner ! »
            Isaak se tourna aussitôt vers son maître. En un mouvement hésitant, Hyôga l’imita.
  « Bien… », murmura Camus en français.
            Hyôga jeta un œil interrogateur vers Isaak qui ne le vit même pas.
  « Nous sommes sur une étendue glacée. Sous nos pieds se trouve la mer de Kara », expliqua Camus.
            Isaak vit son voisin tressauter soudain. Sans doute avait-il peur que la banquise ne se brise sous lui.
  « Vous savez tous deux bien entendu que la glace est de l’eau aussi. C’est juste que les atomes sont devenus si froids qu’ils ne bougent plus. »
            Camus haussa soudain un sourcil interrogateur :
  « Je sais qu’Isaak sait ce que sont les atomes, mais toi Hyôga ?, demanda-t-il au jeune garçon blond.
            Ce dernier s’empourpra légèrement.
  « J’ai… j’ai cru comprendre que c’était de toutes petites particules, invisibles à l’œil nu, qui s’agglomèrent pour composer les choses. »
            Hyôga sentit le regard brun s’attarder sur lui, le jauger. Puis les yeux de Camus s’étrécirent en un sourire invisible.
  « Bien... Ce n’est pas très scientifique, mais ça suffit pour le moment. »
            Il s’agenouilla et posa la main sur la poudreuse légère, ses doigts s’imprimèrent sur le sol blanc. Puis il sembla au jeune Russe qu’une légère aura l’entourait, halo infime et doré autour du corps mince. Le craquement soudain terrifia le garçon. Il avait grondé sur la neige, déchiré l’ouate de l’air. Hyôga frémit. A ses côtés, Isaak paraissait habitué. Le jeune Russe regarda son maître. La glace avait rompu sous la main pâle du Français, en un gouffre profond. On discernait l’épaisseur de la glace et la mer scintillait en dessous.
  « Ceci n’est rien, reprit doucement Camus. Ce que je veux vous faire voir, c’est comment reconstituer cette glace. »
            Hyôga ouvrit légèrement la bouche. Reconstituer ? Que voulait dire son nouveau maître ? Puis il distingua. L’eau sombre dans le trou cessait de bouger, en une rigidité crissante, elle s’épaississait en glace bleue, gonflait contre les parois. Et au-delà… Il les voyait. Les atomes cessaient de bouger, s’apaisaient. Camus chantait une berceuse, une chanson douce comme celles que lui fredonnait sa mère, et les atomes écoutaient, s’endormaient.

            Hyôga releva les yeux sur son nouveau maître, percevant brusquement la bienveillance tranquille sous l’apparence froide. Ce dernier esquissa une bribe de sourire et se tourna vers Isaak :
  « Tu vas enfin avoir une vraie concurrence Isaak. Montre-lui les lieux. »
            En un rire franc, Isaak saisit la main de Hyôga et le conduit. Hébété, Hyôga ouvrit les yeux sur sa nouvelle vie. Sur une banquise où psalmodiait le froid chaleureux, ses souvenirs ancrés sous le sol. Tout serait parfait.


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