Chapitre 13 : Promesses
Tu
vois, je sais que tu deviendras grand et fort. Et beau, oui beau comme un héros
antique. Ton destin brûle en toi, il guide tes pas vers ta réalisation. Je suis
fière tu sais, si fière de ce que je sens briller en toi. Chaque jour je prie
pour l’homme que tu deviens. Chaque jour, je pense que tu t’accomplis un peu
plus. Chaque jour, je rêve à nos retrouvailles.
Comme
tu auras alors grandi petit frère ! Je te vois, tu auras le sourire
triomphant et le poing vainqueur. Les filles seront à tes pieds et tu ne
voudras plus te montrer avec ta grande sœur. Mais je te sermonnerai et tu feras
ta petite moue honteuse, ces joues rougissantes que tu avais déjà enfant quand
je te réprimandais.
Il
faut apprendre à évoluer Seiya, apprendre à réaliser tes rêves. Tout ne sera
pas rose, non beaucoup de choses seront même dures. Mais tu lutteras, et tout
te guidera vers ton bonheur. Il faut apprendre à grandir petit frère, apprendre
à vivre dans un monde qui n’attend pas que toi. Mais tu trouveras ta place, et
tout te guidera vers elle.
J’ai
peur, peur, mais tu me reviendras bientôt. Oui bientôt…
Il
avait refermé sa main sur les doigts fins. Il les sentait trembler légèrement
contre sa paume, et les battements de cœur s’étaient accélérés, rythme rapide
qui pulsait contre sa peau. Ikki regarda son frère. Les longs cils recouvraient
ses yeux baissés et empêchaient de discerner les pensées dessinées sur l’iris.
Ikki soupira.
Ils
s’étaient tous réunis dans le parc près du manoir, et Tatsumi était arrivé en
ricanant avec son urne. De nombreux papiers glissaient dedans, chacun portant
le sceau de leur destin. Ils angoissaient tous en fait, face à cette pensée de
se retrouver éparpillés après avoir tissé quelques liens d’amitié. Loin de leur
pays, loin de leurs habitudes, loin de tout. L’idée était assez terrifiante, et
aucun n’était confiant.
Tatsumi
posa les mains sur la table improvisée et les dévisagea, un sourire narquois au
coin des lèvres.
« Je
vais enfin vous expliquer ce que vous vouliez savoir… », commença-t-il.
Des
chuchotements bruissèrent depuis la pelouse. Tatsumi se racla la gorge.
« Silence ! », gronda-t-il.
Les
murmures s’estompèrent sur un silence angoissé.
« Comme vous le savez, vous allez partir à l’étranger être
entraînés, reprit-il. Vous devrez y gagner une armure. »
Une…
armure ? Le brouhaha reprit de plus belle, chacun tentant de voir si
son voisin avait entendu une version différente. L’incompréhension s’esquissait
au coin de leurs yeux et sur leurs épaules agitées.
« Silence j’ai dit ! », hurla Tatsumi.
Il
les toisa.
« Vous
allez donc venir tirer au sort le papier qui vous indiquera où vous irez »,
lâcha-t-il d’une voix rauque.
De
sa main gauche, Shun tripota le col de son polo. Ikki serra gentiment la main
sur ses doigts, tentant de l’apaiser. Le jeune garçon releva ses yeux sur son
frère, mélange d’innocence et d’angoisse. Ikki lui sourit, le plus
naturellement qu’il put, réprimant une déglutition.
« Jabu ! », appela Tatsumi.
Le
jeune garçon s’avança, cachant sa peur en roulant des épaules. Il plongea sa main
dans l’urne et retira le papier.
« Algérie. Oran. », lut-il.
Il
soupira discrètement, rejoignant la pelouse.
Et
ils s’enchaînèrent ainsi. Parfois certains demandaient quelques précisions sur
le lieu où on les envoyait. Selon son affinité, Tatsumi répondait parfois.
Certains semblaient satisfaits, comme le blond Hyôga, qui retournait dans son
pays d’enfance. D’autres avaient pleuré à l’annonce.
Cramponnant
sa main gauche de plus en plus, Shun tentait de réprimer le tremblement qui
l’envahissait. Ikki lui chuchota à l’oreille :
« Courage, tout ira bien, tu verras ! »
Son
frère grommela un gémissement contenu. Les cheveux soyeux de Shun frôlèrent le
nez d’Ikki en une caresse diffuse de peur. Ce fut le moment que choisit Tatsumi
pour l’appeler.
« Shun ! »,
grogna-t-il.
Le
concerné glissa sa main à regret en dehors de celle de son frère. En un
glissement léger il s’écarta pour monter sur la frêle estrade. Ikki le regarda
plonger son poignet délicat dans la boîte et en retirer un bout de papier qu’il
déplia.
« L’île de Death Queen… », énonça-t-il, avant d’agrandir grand les yeux d’effroi.
Le
cœur d’Ikki cessa de battre. En rumeur diffuse autour de lui, il entendait
vaguement les hoquets de consternation, les ricanements de certains. Le plus
faible dans le pire lieu d’entraînement, chuchotait-on. Il ne reviendrait pas
vivant, ajoutait-on. Ikki écarta les yeux sur le sol jauni par le soleil. Oui,
Shun fanerait comme la prairie, ses yeux s’éteindraient, herbe desséchée. Dans
le brouillard de son hébétement, il entendit Tatsumi rappeler l’endroit, son
horreur désolée. Non, ça ne se passerait pas ainsi. Ikki serra les poings et
secoua la tête, évacuant toute hésitation.
« Ca a
l’air drôle ! Laissez-moi y aller à sa place ! », affirma-t-il.
Tatsumi
protesta mais Ikki ne l’écouta pas. Il avait pris sa décision, et rien ne
pouvait le détourner. En un grognement, Tatsumi fit tirer un autre papier à
Shun.
« L’île d’Andromède… », articula ce dernier.
Tatsumi
ricana.
« Alors, satisfait Ikki ? Maintenant allez faire vos
bagages ! »
Ikki
fronça les sourcils, et emmena son frère vers le manoir.
« Tu
es heureux non ? »
Shiryû
regardait son camarade blond mettre ses affaires dans son sac de voyage. Il
pliait les vêtements attentivement, les aplatissant sans les froisser. En un
tapotement, il les calait dans le bagage ouvert.
« Ce
n’est pas exactement l’endroit où j’ai grandi, mais oui c’est mon pays… »,
répondit Hyôga.
Il
posa sa bible ouvragée sur la pile d’habits.
« Je
ne me suis jamais vraiment fait au Japon. Il y fait trop chaud, l’air grouille
d’odeurs polluées et… »
Le
vent ne glissait pas sur le sol froid, portant la promesse de l’aube prochaine,
et le silence ne rayait pas la neige en pas feutrés. Là-bas, le ciel était d’un
bleu pur et les étoiles se gravaient sur sa voûte éthérée. Mais Hyôga ne
trouvait pas les mots, alors il se contenta de sourire.
Shiryû
posa la main sur son propre sac déjà fermé.
« Je
t’avoue que moi aussi je suis satisfait du tirage au sort. J’ai toujours rêvé
de me rendre vraiment en Chine… », confessa-t-il.
Hyôga
tourna son visage pâle vers son camarade.
« On
est les grands gagnants alors ?
– On
pourrait dire les choses comme ça », concéda Shiryû.
Hyôga
soupira. Oui pour eux, tout allait bien, mais pour d’autres…
Shun
pleurait.
« Mais
Ikki c’est injuste ! Tu n’as pas à aller là-bas pour moi. C’est moi qui
ai…
– Chut,
c’est fait !, l’interrompit Ikki en posant un doigt sur ses lèvres.
– Ikki, je
ne veux pas que…
– Tout ira
bien tu verras… »
Il
rapprocha la tête de son frère vers sa poitrine et la serra contre lui. Le
corps de Shun était traversé de hoquets sanglotant et ses mains fines s’étaient
enfoncées dans la taille du jeune homme brun. Ikki caressa les cheveux souples,
glissa ses doigts sur la nuque en cajolerie délicate.
« Je
reviendrai… Je te le promets, je reviendrai. Ai-je déjà failli à une de mes
promesses ? »
Une
négation étouffée s’échappa du corps tremblant entre ses bras. Ikki frémit. Il
ne devait pas… Il ne devait pas montrer combien il avait peur, combien il ne
voulait pas le quitter. Le visage blotti de Shun essuya ses larmes contre son
T-shirt et se releva vers lui.
« Tu
me le jures ? »
Ses
yeux clairs vibraient, et Ikki se sentit hypnotisé. Il s’arracha de la transe
en caressant le menton blanc.
« Je
viens de te le dire, non ?, sourit-il. Par contre tu dois aussi me
promettre quelque chose en retour. »
Il
repoussa une boucle châtain derrière l’oreille de son frère.
« Toi
aussi tu dois revenir, et en jeune homme abouti, chuchota-t-il.
–
Revenir ?, bredouilla Shun.
– Oui, toi
aussi tu pars après tout, et tu dois revenir intact, compris ? »
La
bouche de Shun s’agrandit en un sourire doux.
« Bien
sûr que je reviendrai Ikki ! Je te le promets ! »
Les
épaules d’Ikki s’affaissèrent légèrement. Le soleil pur sur le visage de son
frère le rassurait. Oui tout irait bien… Tout devait aller bien. Il
l’avait promis.
Il
s’était assis dans un coin de la pelouse, contre un arbre, et avait déchiré le
coin de l’enveloppe. Seiya reconnaissait l’écriture délicate de l’adresse, et
il s’était emballé en la voyant. Fébrilement, il lut la lettre. Sa soeur lui
disait qu’elle était fière, qu’il devait poursuivre… Elle ne disait pas qu’elle
allait venir, qu’ils allaient se revoir… Il songea à déchirer la lettre, mais
dans un dernier réflexe, se contenta de froisser l’enveloppe.
Il
réprima des larmes, il était hors de question qu’on le voit pleurer. Il devait
aller en Grèce mais que lui importait ce pays ? Juste la parole de le
réunir avec sa sœur s’il ramenait leur fichue armure. Combien de temps le
baladerait-on de promesse en promesse ? Il arracha des bouts de gazon, les
tordant entre ses doigts. La chlorophylle teinta sa peau et il s’essuya sur le
papier froissé. Combien de temps cela prendrait-il encore ? Mais quel
choix avait-il ? Il n’était qu’une poupée trimballée.
En
un soupir enragé, Seiya se redressa. Les pouces dans les poches, il rejoint le
manoir pour accepter son départ.
La
voiture filait au loin, odeur de pétrole brûlé qui enivrait son cœur blessé.
Sur sa gauche, son ami posa la main sur son épaule en tapotement léger.
« Tout
ira bien Shun… »
L’adolescent
pâle sourit à son interlocuteur.
« Je
pars demain moi m’a-t-on dit », prononça-t-il d’une voix légère.
Ses
yeux trahissaient un désarroi refoulé.
« Moi
aussi, répondit le jeune garçon blond. Donc ça nous laisse encore une soirée
puis ce sera dans quelques années quand nous reviendrons.
– Oui quand
nous nous reverrons, et quand mon frère… »
Les
cils se refermèrent sur son chagrin.
« Oh
Hyôga… Et si j’oubliais tout de lui, si je ne le reconnaissais plus, s’il
changeait ? »
Le
jeune Russe ouvrit les lèvres sous le choc. Les yeux de prairie de son ami le
suppliaient, lui demandaient quelque chose qu’il ne pouvait pas promettre.
« Mais
il reviendra Shun, finit-il par répondre. Vous êtes vivants tous les deux et il
reviendra…
– Toi
aussi ?, articula Shun.
– Bien
sûr… »
Shun
blottit son visage contre Hyôga pour dissimuler ses sanglots. En un geste
hésitant, Hyôga referma ses bras sur la tête châtain. Il connaissait la peine
de ne plus avoir un être proche, et le chagrin de son ami le fouettait de pics
gelés. La chaleur renaissante du soleil ne parvint pas à les faire fondre.
Tatsumi
l’avait ligoté, ça s’annonçait mal.
Il
était dans une cale sombre, ça sentait le moisi. Une inquiétude le prit,
l’emmenait-on vraiment sur l’île où il était censé se rendre ? L’homme
chauve devant lui ricana.
« Tu
fais moins le malin hein ? Comme c’est la dernière fois que je te vois,
nous avons un contentieux à régler. »
Ikki
écarquilla les yeux d’incompréhension.
« Tu
ne crois pas que j’ai oublié ton coup de ceinture foudroyant ? »
Un
souvenir de tonnerre gronda dans les oreilles d’Ikki. Mais oui, ce soir-là…
Shun avait…
Le
bâton le frappa en plein ventre. Ikki réprima un cri. Les coups s’enchaînaient
en une violence brutale et incontrôlée sur son corps brun. Il serrait les dents
pour ne pas offrir le plaisir d’un seul gémissement de souffrance. La chose
semblait agacer Tatsumi qui redoublait d’acharnement. La peau d’Ikki brûlait,
ses muscles se contractaient de douleur.
« Mais
crie bon sang, crie ! »
L’adolescent
refusa de lui offrir cette joie.
Lassé,
Tatsumi sortit sa dernière arme. Il ramassa le corps recroquevillé et s’accroupit
à côté.
« Tu
veux savoir à quoi ressemble l’île d’Andromède, Ikki ?, lui chuchota-t-il
à l’oreille. Tu veux savoir quel est cet endroit où part ton frère
bien-aimé ? »
Les
yeux sombres du jeune homme se tournèrent vers lui.
« C’est le deuxième lieu d’entraînement le pire… Il y gèle la nuit,
et le jour il y fait si chaud que tu peux faire cuire un œuf sur une pierre au
soleil. Pas de végétation, pas de ferme, pas de village… Rien qu’un rocher
isolé sur lequel quasi personne ne va. Ton frère a une main singulièrement
malchanceuse. »
Tatsumi
ricana :
« Ben
voilà, tu m’écoutes… »
Le
regard d’Ikki s’était figé, ses pupilles dilatées palpitaient.
« Ton
frère va s’enfuir, et revenir déshonoré. Ou s’il trouve le courage d’y rester,
il n’en reviendra que les pieds en avant. Alors à quoi bon ton
sacrifice ? », railla Tatsumi.
Il
se redressa et donna un dernier coup au jeune homme tétanisé. Un hurlement lui
répondit. L’air satisfait, Tatsumi s’en alla, lançant son bâton près d’Ikki.
Les
cris se brisèrent sur son dos.
Ikki
était seul, dans une cale sordide, et le cœur brisé.
Il
s’évanouit.
Le
bateau glissait sur l’eau, en clapotis légers, la nuit devant lui.
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