dimanche 10 juin 2012

Enfance délaissée : chapitre 13


Chapitre 13 : Promesses


            Tu vois, je sais que tu deviendras grand et fort. Et beau, oui beau comme un héros antique. Ton destin brûle en toi, il guide tes pas vers ta réalisation. Je suis fière tu sais, si fière de ce que je sens briller en toi. Chaque jour je prie pour l’homme que tu deviens. Chaque jour, je pense que tu t’accomplis un peu plus. Chaque jour, je rêve à nos retrouvailles.
            Comme tu auras alors grandi petit frère ! Je te vois, tu auras le sourire triomphant et le poing vainqueur. Les filles seront à tes pieds et tu ne voudras plus te montrer avec ta grande sœur. Mais je te sermonnerai et tu feras ta petite moue honteuse, ces joues rougissantes que tu avais déjà enfant quand je te réprimandais.
            Il faut apprendre à évoluer Seiya, apprendre à réaliser tes rêves. Tout ne sera pas rose, non beaucoup de choses seront même dures. Mais tu lutteras, et tout te guidera vers ton bonheur. Il faut apprendre à grandir petit frère, apprendre à vivre dans un monde qui n’attend pas que toi. Mais tu trouveras ta place, et tout te guidera vers elle.
            J’ai peur, peur, mais tu me reviendras bientôt. Oui bientôt…


            Il avait refermé sa main sur les doigts fins. Il les sentait trembler légèrement contre sa paume, et les battements de cœur s’étaient accélérés, rythme rapide qui pulsait contre sa peau. Ikki regarda son frère. Les longs cils recouvraient ses yeux baissés et empêchaient de discerner les pensées dessinées sur l’iris. Ikki soupira.
            Ils s’étaient tous réunis dans le parc près du manoir, et Tatsumi était arrivé en ricanant avec son urne. De nombreux papiers glissaient dedans, chacun portant le sceau de leur destin. Ils angoissaient tous en fait, face à cette pensée de se retrouver éparpillés après avoir tissé quelques liens d’amitié. Loin de leur pays, loin de leurs habitudes, loin de tout. L’idée était assez terrifiante, et aucun n’était confiant.
            Tatsumi posa les mains sur la table improvisée et les dévisagea, un sourire narquois au coin des lèvres.
  « Je vais enfin vous expliquer ce que vous vouliez savoir… », commença-t-il.
            Des chuchotements bruissèrent depuis la pelouse. Tatsumi se racla la gorge.
  « Silence ! », gronda-t-il.
            Les murmures s’estompèrent sur un silence angoissé.
  « Comme vous le savez, vous allez partir à l’étranger être entraînés, reprit-il. Vous devrez y gagner une armure. »
            Une… armure ? Le brouhaha reprit de plus belle, chacun tentant de voir si son voisin avait entendu une version différente. L’incompréhension s’esquissait au coin de leurs yeux et sur leurs épaules agitées.
  « Silence j’ai dit ! », hurla Tatsumi.
            Il les toisa.
  « Vous allez donc venir tirer au sort le papier qui vous indiquera où vous irez », lâcha-t-il d’une voix rauque.

            De sa main gauche, Shun tripota le col de son polo. Ikki serra gentiment la main sur ses doigts, tentant de l’apaiser. Le jeune garçon releva ses yeux sur son frère, mélange d’innocence et d’angoisse. Ikki lui sourit, le plus naturellement qu’il put, réprimant une déglutition.
  « Jabu ! », appela Tatsumi.
            Le jeune garçon s’avança, cachant sa peur en roulant des épaules. Il plongea sa main dans l’urne et retira le papier.
  « Algérie. Oran. », lut-il.
            Il soupira discrètement, rejoignant la pelouse.
            Et ils s’enchaînèrent ainsi. Parfois certains demandaient quelques précisions sur le lieu où on les envoyait. Selon son affinité, Tatsumi répondait parfois. Certains semblaient satisfaits, comme le blond Hyôga, qui retournait dans son pays d’enfance. D’autres avaient pleuré à l’annonce.
            Cramponnant sa main gauche de plus en plus, Shun tentait de réprimer le tremblement qui l’envahissait. Ikki lui chuchota à l’oreille :
  « Courage, tout ira bien, tu verras ! »
            Son frère grommela un gémissement contenu. Les cheveux soyeux de Shun frôlèrent le nez d’Ikki en une caresse diffuse de peur. Ce fut le moment que choisit Tatsumi pour l’appeler.
  « Shun ! », grogna-t-il.
            Le concerné glissa sa main à regret en dehors de celle de son frère. En un glissement léger il s’écarta pour monter sur la frêle estrade. Ikki le regarda plonger son poignet délicat dans la boîte et en retirer un bout de papier qu’il déplia.
  « L’île de Death Queen… », énonça-t-il, avant d’agrandir  grand les yeux d’effroi.
            Le cœur d’Ikki cessa de battre. En rumeur diffuse autour de lui, il entendait vaguement les hoquets de consternation, les ricanements de certains. Le plus faible dans le pire lieu d’entraînement, chuchotait-on. Il ne reviendrait pas vivant, ajoutait-on. Ikki écarta les yeux sur le sol jauni par le soleil. Oui, Shun fanerait comme la prairie, ses yeux s’éteindraient, herbe desséchée. Dans le brouillard de son hébétement, il entendit Tatsumi rappeler l’endroit, son horreur désolée. Non, ça ne se passerait pas ainsi. Ikki serra les poings et secoua la tête, évacuant toute hésitation.
  « Ca a l’air drôle ! Laissez-moi y aller à sa place ! », affirma-t-il.
            Tatsumi protesta mais Ikki ne l’écouta pas. Il avait pris sa décision, et rien ne pouvait le détourner. En un grognement, Tatsumi fit tirer un autre papier à Shun.
  « L’île d’Andromède… », articula ce dernier.
            Tatsumi ricana.
  « Alors, satisfait Ikki ? Maintenant allez faire vos bagages ! »
            Ikki fronça les sourcils, et emmena son frère vers le manoir.


  « Tu es heureux non ? »
            Shiryû regardait son camarade blond mettre ses affaires dans son sac de voyage. Il pliait les vêtements attentivement, les aplatissant sans les froisser. En un tapotement, il les calait dans le bagage ouvert.
  « Ce n’est pas exactement l’endroit où j’ai grandi, mais oui c’est mon pays… », répondit Hyôga.
            Il posa sa bible ouvragée sur la pile d’habits.
  « Je ne me suis jamais vraiment fait au Japon. Il y fait trop chaud, l’air grouille d’odeurs polluées et… »
            Le vent ne glissait pas sur le sol froid, portant la promesse de l’aube prochaine, et le silence ne rayait pas la neige en pas feutrés. Là-bas, le ciel était d’un bleu pur et les étoiles se gravaient sur sa voûte éthérée. Mais Hyôga ne trouvait pas les mots, alors il se contenta de sourire.
            Shiryû posa la main sur son propre sac déjà fermé.
  « Je t’avoue que moi aussi je suis satisfait du tirage au sort. J’ai toujours rêvé de me rendre vraiment en Chine… », confessa-t-il.
            Hyôga tourna son visage pâle vers son camarade.
  « On est les grands gagnants alors ?
  – On pourrait dire les choses comme ça », concéda Shiryû.
            Hyôga soupira. Oui pour eux, tout allait bien, mais pour d’autres…


            Shun pleurait.
  « Mais Ikki c’est injuste ! Tu n’as pas à aller là-bas pour moi. C’est moi qui ai…
  – Chut, c’est fait !, l’interrompit Ikki en posant un doigt sur ses lèvres.
  – Ikki, je ne veux pas que…
  – Tout ira bien tu verras… »
            Il rapprocha la tête de son frère vers sa poitrine et la serra contre lui. Le corps de Shun était traversé de hoquets sanglotant et ses mains fines s’étaient enfoncées dans la taille du jeune homme brun. Ikki caressa les cheveux souples, glissa ses doigts sur la nuque en cajolerie délicate.
  « Je reviendrai… Je te le promets, je reviendrai. Ai-je déjà failli à une de mes promesses ? »
            Une négation étouffée s’échappa du corps tremblant entre ses bras. Ikki frémit. Il ne devait pas… Il ne devait pas montrer combien il avait peur, combien il ne voulait pas le quitter. Le visage blotti de Shun essuya ses larmes contre son T-shirt et se releva vers lui.
  « Tu me le jures ? »
            Ses yeux clairs vibraient, et Ikki se sentit hypnotisé. Il s’arracha de la transe en caressant le menton blanc.
  « Je viens de te le dire, non ?, sourit-il. Par contre tu dois aussi me promettre quelque chose en retour. »
            Il repoussa une boucle châtain derrière l’oreille de son frère.
  « Toi aussi tu dois revenir, et en jeune homme abouti, chuchota-t-il.
  – Revenir ?, bredouilla Shun.
  – Oui, toi aussi tu pars après tout, et tu dois revenir intact, compris ? »
            La bouche de Shun s’agrandit en un sourire doux.
  « Bien sûr que je reviendrai Ikki ! Je te le promets ! »

            Les épaules d’Ikki s’affaissèrent légèrement. Le soleil pur sur le visage de son frère le rassurait. Oui tout irait bien… Tout devait aller bien. Il l’avait promis.


            Il s’était assis dans un coin de la pelouse, contre un arbre, et avait déchiré le coin de l’enveloppe. Seiya reconnaissait l’écriture délicate de l’adresse, et il s’était emballé en la voyant. Fébrilement, il lut la lettre. Sa soeur lui disait qu’elle était fière, qu’il devait poursuivre… Elle ne disait pas qu’elle allait venir, qu’ils allaient se revoir… Il songea à déchirer la lettre, mais dans un dernier réflexe, se contenta de froisser l’enveloppe.
            Il réprima des larmes, il était hors de question qu’on le voit pleurer. Il devait aller en Grèce mais que lui importait ce pays ? Juste la parole de le réunir avec sa sœur s’il ramenait leur fichue armure. Combien de temps le baladerait-on de promesse en promesse ? Il arracha des bouts de gazon, les tordant entre ses doigts. La chlorophylle teinta sa peau et il s’essuya sur le papier froissé. Combien de temps cela prendrait-il encore ? Mais quel choix avait-il ? Il n’était qu’une poupée trimballée.
            En un soupir enragé, Seiya se redressa. Les pouces dans les poches, il rejoint le manoir pour accepter son départ.


            La voiture filait au loin, odeur de pétrole brûlé qui enivrait son cœur blessé. Sur sa gauche, son ami posa la main sur son épaule en tapotement léger.
  « Tout ira bien Shun… »
            L’adolescent pâle sourit à son interlocuteur.
  « Je pars demain moi m’a-t-on dit », prononça-t-il d’une voix légère.
            Ses yeux trahissaient un désarroi refoulé.
  « Moi aussi, répondit le jeune garçon blond. Donc ça nous laisse encore une soirée puis ce sera dans quelques années quand nous reviendrons.
  – Oui quand nous nous reverrons, et quand mon frère… »
            Les cils se refermèrent sur son chagrin.
  « Oh Hyôga… Et si j’oubliais tout de lui, si je ne le reconnaissais plus, s’il changeait ? »
            Le jeune Russe ouvrit les lèvres sous le choc. Les yeux de prairie de son ami le suppliaient, lui demandaient quelque chose qu’il ne pouvait pas promettre.
  « Mais il reviendra Shun, finit-il par répondre. Vous êtes vivants tous les deux et il reviendra…
  – Toi aussi ?, articula Shun.
  – Bien sûr… »
            Shun blottit son visage contre Hyôga pour dissimuler ses sanglots. En un geste hésitant, Hyôga referma ses bras sur la tête châtain. Il connaissait la peine de ne plus avoir un être proche, et le chagrin de son ami le fouettait de pics gelés. La chaleur renaissante du soleil ne parvint pas à les faire fondre.


            Tatsumi l’avait ligoté, ça s’annonçait mal.
            Il était dans une cale sombre, ça sentait le moisi. Une inquiétude le prit, l’emmenait-on vraiment sur l’île où il était censé se rendre ? L’homme chauve devant lui ricana.
  « Tu fais moins le malin hein ? Comme c’est la dernière fois que je te vois, nous avons un contentieux à régler. »
            Ikki écarquilla les yeux d’incompréhension.
  « Tu ne crois pas que j’ai oublié ton coup de ceinture foudroyant ? »
            Un souvenir de tonnerre gronda dans les oreilles d’Ikki. Mais oui, ce soir-là… Shun avait…
            Le bâton le frappa en plein ventre. Ikki réprima un cri. Les coups s’enchaînaient en une violence brutale et incontrôlée sur son corps brun. Il serrait les dents pour ne pas offrir le plaisir d’un seul gémissement de souffrance. La chose semblait agacer Tatsumi qui redoublait d’acharnement. La peau d’Ikki brûlait, ses muscles se contractaient de douleur.
  « Mais crie bon sang, crie ! »
            L’adolescent refusa de lui offrir cette joie.
            Lassé, Tatsumi sortit sa dernière arme. Il ramassa le corps recroquevillé et s’accroupit à côté.
  « Tu veux savoir à quoi ressemble l’île d’Andromède, Ikki ?, lui chuchota-t-il à l’oreille. Tu veux savoir quel est cet endroit où part ton frère bien-aimé ? »
            Les yeux sombres du jeune homme se tournèrent vers lui.
  « C’est le deuxième lieu d’entraînement le pire… Il y gèle la nuit, et le jour il y fait si chaud que tu peux faire cuire un œuf sur une pierre au soleil. Pas de végétation, pas de ferme, pas de village… Rien qu’un rocher isolé sur lequel quasi personne ne va. Ton frère a une main singulièrement malchanceuse. »
            Tatsumi ricana :
  « Ben voilà, tu m’écoutes… »
            Le regard d’Ikki s’était figé, ses pupilles dilatées palpitaient.
  « Ton frère va s’enfuir, et revenir déshonoré. Ou s’il trouve le courage d’y rester, il n’en reviendra que les pieds en avant. Alors à quoi bon ton sacrifice ? », railla Tatsumi.
            Il se redressa et donna un dernier coup au jeune homme tétanisé. Un hurlement lui répondit. L’air satisfait, Tatsumi s’en alla, lançant son bâton près d’Ikki.
            Les cris se brisèrent sur son dos.

            Ikki était seul, dans une cale sordide, et le cœur brisé.
            Il s’évanouit.
            Le bateau glissait sur l’eau, en clapotis légers, la nuit devant lui.
            Il s’enfonça dans l’obscurité du lendemain.


Fin
Fanfic s'enchaînant : L'amour ne suffit pas

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