mardi 19 juin 2012

L'amour ne suffit pas : chapitre 7


Chapitre 7 — Sibérie


            Isaak rit.
  « Mais si ! Le phoque a trébuché sur la glace !, protestait Hyôga.
  – Doux rêveur… »
            Le jeune homme blond s’assit en tailleur près du feu.
  « Et toi, de quoi rêves-tu Isaak ? », demanda-t-il.
            Isaak pointa ses yeux verts sur le jeune Russe et sourit.
  « Je t’ai déjà raconté la légende du Kraken…
  – Oui, se souvint Hyôga.
  – Je veux la justice, que le monde soit pur et protégé, poursuivit Isaak.
  – Et qu’est-ce que la justice selon toi ?, insista Hyôga.
  – C’est une valeur absolue, un idéal où les droits de tous seraient respectés. Un monde sans taches ni tyrans, où règnerait la paix, développa Isaak.
  – Je vois. »
            Hyôga plongea ses yeux bleus dans le feu crépitant. Isaak regarda le visage fin. Il était merveilleusement habitué au climat. Peut-être son sang à moitié russe le protégeait-il ? Il ne s’était jamais plaint du froid brûlant, de la nourriture monotone. Et il était un rival sérieux, ayant compris et vu le cosmos dès le début. Isaak déglutit.
  « Et toi Hyôga, pourquoi veux-tu être chevalier ?
  – Ah moi… »
            Le jeune homme blond tourna la tête vers son camarade. Ses iris de glacier noyaient son regard.
  « Ma mère est morte quand j’étais jeune. Pas loin d’ici, sous la mer de Kara. Le bateau a sombré. On m’a sauvé, mais… pas elle », rajouta-t-il d’une voix étouffée.
            Il baissa les cils vers la couverture du sol.
  « Je veux…, poursuivit-il, je veux la revoir, et pour ça… je dois devenir fort. »
            Isaak ouvrit la bouche de stupeur.
  « Tu veux devenir chevalier pour satisfaire un plaisir égoïste ?, se scandalisa-t-il d’un ton froid.
  – Mais Isaak, objecta Hyôga, la paix commence peut-être par faire la paix avec soi-même… »
            Le coup atteint la mâchoire en un bruit sec.
  « Isaak… », protesta le jeune homme
            Le susnommé ne l’écouta pas et refrappa la peau lisse.
  « C’est indigne ! Je devrais t’ôter la vie ! »
            Hyôga tendit les mains vers le bras de son camarade, attrapa le corps agité.
  « Je sais !; hurla-t-il. Maître Camus m’a dit lui-même que je périrai avec un tel but. »
            Isaak se crispa, le bras tendu sans oser refrapper.
  « Parce que tu as osé le lui dire… »
            Son bras s’affaissa. Il se redressa et saisit son manteau. Son corps raide semblait sautiller.
  « Je ne peux pas rester à écouter de telles fadaises. Tu n’es pas digne d’être chevalier. »
            Hyôga entendit la porte claquer. Il resta assis, les yeux sur le mur. Peut-être Isaak avait-il raison. Il massa doucement l’hématome de sa joue. Il sentait son œil gonfler. Sur un mouvement non calculé, il se redressa et sortit à la suite de son camarade.

            L’air froid heurta sa peau en minuscules flocons pâles. Le vent soufflait fort sur la banquise et les cristaux de neige en devenaient tranchants sous la pression. Hyôga frotta distraitement ses épaules nues, tentant de voir une forme sous le ciel bas. Le blanc de la banquise était brouillé et le soleil caché assombrissait le sol gelé. L’hiver était avancé, et le souffle de la tempête se répandait sur le jeune homme. En un frisson, il tourna les talons vers la demeure de son maître. Peut-être Isaak y était-il allé. Peut-être avait-il voulu se confier.
            La maison de Camus était proche. En béton crépi, elle était ancrée sur une butte légère, murs laiteux sur l’horizon blafard. Les quelques mètres qui la séparaient de la demeure des élèves semblèrent interminables à Hyôga. Il marchait contre le vent, sa peau nue sous la caresse du blizzard. Respirer était difficile, la neige s’infiltrait dans ses poumons en eau gelée, elle glissait dans sa bouche en goût métallique. Avancer, toujours avancer. Isaak…
            La porte se dessinait en gris sur le mur. Hyôga frappa. Le vent soufflait dans ses oreilles, chantait des histoires de spectres. Hyôga refrappa. Personne, personne ne répondait. Inspirant, il ouvrit la porte et se glissa à l’intérieur. L’atmosphère était douce et moite dans la maison. Il entendait le feu crépiter dans la cheminée. Le silence suave l’intimida. Isaak n’était sûrement pas ici. Un gémissement étouffé s’échappa alors de la chambre. La voix était faible, non reconnaissable. Intrigué mais honteux, le jeune homme se rapprocha de la pièce à pas de velours. Il jeta un œil dans l’embrasure de la porte.

            De longs cheveux blonds s’étalaient sur les draps blancs, caressés par des fils roux et soyeux. Les deux corps étaient rapprochés en une étreinte souple, pâleur tiède sous l’air frais. Camus avait posé la main gauche sur le sein, et malaxait doucement la peau rose, pinçait le téton dressé. Elle avait les yeux clos et sa tête renversée était ouverte sur ses lèvres humides. Il la regardait intensément, ses iris bruns en soleil sur sa chair chaude. Il glissait lentement entre ses jambes, son ventre frôlant le sien, les fesses dures qui ondulaient.

            Hyôga tourna vivement la tête, les joues rougies. Il sentait son cœur battre fermement. Sa pensée oscillait entre la gêne de ce qu’il avait espionné et une excitation malvenue. Il repartit le plus discrètement qu’il pouvait, rampa vers la sortie. L’air gelé le ramena à la réalité brusquement. Il ne savait toujours pas où était Isaak. Il tourna ses pas vers le village proche.
            Le froid l’apaisait, cajolait ses ardeurs et son malaise. Le vent le berçait. Et au loin, les atomes chantaient leur mélopée douce… Hyôga tanguait.
            La forme sombre du village annonçait sa présence de lumières éparses filtrant sous les volets des maisons. Hyôga n’y était que peu allé. On leur livrait tout ce dont ils avaient besoin, en une sorte de rite respectueux. Le jeune homme savait qu’il y avait un commerce au moins, et une sorte de taverne, mais s’il était rentré dans le premier, il n’avait jamais vu la seconde. Néanmoins, c’était le meilleur endroit pour demander si quelqu’un avait vu Isaak. Il poussa la porte en soupirant.
            Des visages surpris se tournèrent vers lui. Le regard interrogateur, ils examinaient le corps à peine protégé du jeune Russe, la tête inconnue. Une jeune fille rougissante se rapprocha finalement de lui.
  « Bonjour… Vous devez être un de nos saints ? », demanda-t-elle en battant des cils.
            Hyôga la regarda sans comprendre.
  « Un… saint ? Pas encore je…
  – Vous vous entraînez bien avec notre saint, Camus ?, le coupa-t-elle.
  – Oui, Camus est mon maître mais…
  – Vous êtes donc un de nos saints ! », rit-elle
            Elle replaça machinalement une épingle dans les longues tresses blondes qui encerclaient sa tête.
  « Je m’appelle Sniejana, je suis la fille de l’aubergiste. Laissez-moi vous offrir un thé chaud pour vous réchauffer. »
            Il accepta machinalement. Au milieu des regards qui le détaillaient, il se sentait mal à l’aise. A peine fut-il assis à une table qu’un petit garçon vint le rejoindre.
  « Je peux vous toucher ? »
            Sans attendre la réponse, il avait déjà saisi la main de Hyôga, et passait ses petits doigts dans la paume.
  « Vous semblez fait comme nous pourtant… », commenta-t-il pour lui-même.
            Hyôga avait ouvert la bouche de surprise, sans oser réagir.
            Sniejana arriva avec une théière et une tasse.
  « Yakoff !, gronda-t-elle. Ce ne sont pas des manières. »
            Elle posa ses yeux bleus sur Hyôga et sourit coquettement.
  « Excusez-le… C’est mon cousin. Il est jeune, il n’est pas au courant de la façon de se comporter avec un de nos saints. Tenez… », rajouta-t-elle en penchant ses seins naissants.
            Elle posa la tasse et la remplit d’un liquide brun.
  « C’est votre entraînement qui vous a valu cet œil au beurre noir ?, s’enquit-elle en entrouvrant les lèvres.
  – Oui… On peut dire ça, chuchota-t-il.
  – Quel gâchis ! », minauda-t-elle.
            Elle s’inclina légèrement en clignant des cils malicieusement.
  « Mademoiselle…, l’arrêta Hyôga alors qu’elle se retournait.
  – Oui ?, demanda-t-elle, les pupilles luisant d’espoir.
  – Auriez-vous vu un autre heu… saint passer par ici ?
  – Un autre ? »
            Elle regarda le plafond en une moue songeuse.
  « Notre saint Camus passe parfois ici, mais j’ai cru comprendre qu’il était… occupé, rit-elle. J’ai déjà cru voir que vous étiez deux avec lui, mais l’autre saint, je ne l’ai jamais vraiment rencontré… »
            Hyôga baissa les yeux sur son thé. Isaak… Où était-il ?
            Il sentit la petite main de Yakoff sur son bras.
  « Peut-être vous attend-il dans votre maison ? Parfois les saints font des choses étranges, mais ils reviennent toujours. Enfin, les vrais saints. S’il ne revient pas, c’en était un faux », expliqua le jeune garçon.
            Hyôga lui sourit.


            Isaak n’était pas rentré. Hyôga s’assit près du feu, laissant les flammes l’hypnotiser. Il vacilla et s’endormit sans le réaliser. Quand il se réveilla, il vit Isaak assis près de lui. Il avait baissé les yeux sur ses mains et astiquait ses pouces.
  « Isaak… »
            Le jeune homme brun se tourna vers Hyôga.
  « Je préfère oublier ce que j’ai entendu hier. Faisons comme si rien ne s’était passé. »
            Hyôga acquiesça doucement de la tête.
  « Bien !, s’exclama Isaak. Maître Camus nous attend. »
            Il se redressa brusquement et sortit. Hyôga frotta son visage. Il était revenu… C’était un vrai saint, se dit-il en souriant.

            Camus les avait fixés de son air distant habituel, et avait commencé ses cours. Hyôga se sentait encore un peu gêné de ce qu’il avait vu, mais l’attitude glaciale de son maître lui fit vite oublier ce moment d’intimité espionné. Le vent était tombé, mais le soleil ne s’était pas relevé. La nuit polaire projetait ses lumières fantasmagoriques sur l’horizon, flammes vertes dansant sur la neige bleue. Le ciel de crépuscule étalait ses constellations en étoiles blafardes, flocons de neige qui tombaient sur eux. Le chant du froid s’installa dans le cœur de Hyôga.

  « Reste Hyôga », lui avait demandé Camus.
            Une inquiétude soudaine retraversa le corps du jeune homme. Il vit son maître se rapprocher, flamme profonde sur l’horizon sombre.
  « Hyôga… Si je n’ouvre pas ma porte, cela signifie que tu n’as pas le droit d’entrer. Est-ce clair ? »
            Ses yeux bruns s’étaient figés en désert rocailleux. Hyôga se sentit déraper le long de leur sol caillouteux. Il déglutit.
  « Oui Maître… Excusez-moi. »
            Le regard rigide darda ses flèches de pierre vers lui. Le jeune homme ouvrit la bouche, sentant ses iris s’humidifier. Puis soudain, Camus se retourna.
  « Bien. Tu as compris. J’ai assez de problèmes avec le Sanctuaire…, murmura-t-il.
  – Le Sanctuaire ? », releva Hyôga.
            Mais Camus était déjà parti plus loin.

            En arrivant devant sa maison, Hyôga vit la petite forme, blottie dans son manteau, qui attendait sagement. L’enfant avait rabattu sa capuche sur son front mais quelques mèches auburn s’échappaient et captaient la luminosité faible. Quand il s’aperçut qu’il n’était plus seul, il sourit.
  « Monsieur le saint !, s’exclama-t-il
  – Tu peux m’appeler Hyôga tu sais », répondit le jeune Russe.
            L’enfant porta sa moufle à ses lèvres.
  « Vraiment ? Merci ! Ma cousine m’a dit que je devais vous respecter vous savez…
  – Et pourquoi es-tu là…, commença Hyôga en cherchant le prénom.
  – Yakoff, lui rappela le garçon.
  – Yakoff. »
            Le susnommé tendit un sac de tissu à Hyôga.
  « C’est de la part de ma cousine ! Sniejana », rajouta-t-il en clignant de l’œil.
            Il fourra les poignées du sac dans les mains de Hyôga et s’enfuit en agitant le bras. Le jeune homme interdit ouvrit pensivement le sac et rit. Il y avait une lotion contre les coups.
            Une nostalgie l’envahit brusquement.
            Quelqu’un lui avait déjà offert une de ces lotions… Il posa son dos contre le mur, laissant glisser le souvenir loin de lui. Il ne voulait pas. La seule pensée importante, c’était sa mère. Oui, rien d’autre. Il oublierait tout, sauf elle.


Note : oui j’ai changé la version du manga et l’ai adaptée à ma manière, mais j’ai gardé l’essentiel des rapports Isaak-Hyôga et de la réaction de ce premier quand Hyôga lui avoue son but. Donc… ;)




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