Chapitre 6 — Grèce
Elle remonta machinalement le
foulard qui serrait sa taille fine. Le tissu léger avait tendance à se dénouer
et glissait sur ses hanches. Ce n'était pas pratique.
Au loin, le soleil creusait le sol,
rougeur éparse sur les montagnes blanches. L'air encore chaud de la journée
frôlait ses bras nus en une moiteur douce et elle s'enivra du parfum de la
végétation tiède. La journée avait été
longue, et ses muscles moulus d'avoir entraîné son disciple. Le soir sonnait
l'heure du repos, et si son ton avait été sévère vis à vis de son élève, son
cœur était ravi de cette pause.
Elle descendit vers les maisons éparpillées des
chevaliers. Le chant des cigales s'éteignait au fur et à mesure que la nuit
tombait et des lumières diffuses s'allumaient un peu partout en contrebas. Des
odeurs diffuses des repas du soir traversaient son masque fin alors qu’elle se
rapprochait du village, et son appétit monta. En ouvrant la porte, elle le vit.
Il agitait son corps massif au-dessus de la table et plaçait l’assiette avec
maladresse. Le léger grincement des gonds le fit se retourner, et un sourire
grossier creusa ses joues.
« Shaina ! J’ai fait ton plat
préféré. »
Elle grommela tandis qu’il
s’asseyait sur le tabouret, le dos tourné et les mains sur le visage. En un
cliquetis métallique elle posa le masque sur la table et commença à manger.
Cassios semblait un rustre, mais elle le connaissait maintenant assez bien pour
savoir qu’il cachait plus de sensibilité qu’on ne croyait. Un peu comme
elle…, songea-t-elle en frémissant. Mais le Sanctuaire voulait ça,
croyait-elle. Il fallait être fort pour gagner le respect des autres. C’était
facile d’être doux et conciliant dans un coin perdu où on était le seul chevalier.
Mais dans un lieu où grouillaient chevaliers et aspirants, on devait montrer
qu’on méritait sa place. Elle était chevalier d’argent, et l’un des plus
puissants de cette caste. Tout le monde devait en être persuadé. Quant à
Cassios, il serait chevalier de Pégase. Son seul adversaire était un Japonais
maigrelet, il n’avait aucune chance.
Même si…
Elle serra le point. Si Cassios
avait du mal à percevoir le cosmos, cet asiatique en aurait encore plus.
Il y avait bien Marin pourtant
qui…
Shaina reposa sèchement son masque
et appela son disciple. Il débarrassa docilement. Un coude sur la table et le
dos de la main sous le menton, Shaina l’observait. Il sentit le reflet
métallique sur sa peau et regarda d’un œil interrogateur sa professeure.
« Nous allons nous entraîner cette nuit
Cassios. »
Il ouvrit la bouche sans oser
protester. Elle rit. Assise, fine et mince, face à un géant de muscles, c’est
lui qui était intimidé. Elle était satisfaite.
« Oui Cassios. Je veux que tu
comprennes, que tu maîtrises le cosmos.
– Le
cosmos… Mais je suis plus fort que ce morveux de Seiya !, protesta-t-il.
– Je n’en doute pas un instant !,
rétorqua-t-elle d’un ton froid. Mais si tu gagnes sans maîtriser le cosmos, j’aurai honte de
toi ! »
Il regarda penaud sa vaisselle. Il
voulait que Shaina soit fière de lui. En un soupir, il termina de rincer les
couverts.
Elle l’entraînait dur, se dit Shaina
en observant au loin les deux Japonais. La silhouette gracile de la jeune femme
donnait de longs coups de jambe vers le corps endurci de l’adolescent. Il
ripostait en esquivant ou bloquant les coups. Il était doué. La pensée glaça
Shaina. Mais il était trop frêle face à Cassios, oui. Shaina soupira en
regardant sur sa droite la forme rassurante, épaisse et compacte, du géant.
L’énergie montait, en un cosmos
lumineux, blanc comme le ressac de la mer. Elle s’enflamma et explosa en un
choc astral. Shaina sursauta en se retournant vers les Japonais. Ca ne pouvait
être que Marin. Oui ça ne pouvait être qu’elle, non ? Le jeune homme
semblait satisfait et triomphait en lançant de la poussière vers Marin. Cette
dernière, imperturbable, se contenta de lui envoyer son pied dans le ventre, le
propulsant au loin. Rassurée, Shaina repartit vers Cassios. Il ne comprenait
pas encore tout, ne savait pas maîtriser, mais il voyait un peu les atomes.
Parviendrait-elle à le faire brûler
son cosmos ? Il le fallait…
Car sinon…
Seiya.
Gamin effronté.
Il l’avait heurtée en courant. Il
s’arrêta, étonné, et frotta l’arrière de sa tête de la main droite. D’un
sourire maladroit, il s’excusa. Ses yeux bruns brillaient d’impertinence,
remarqua-t-elle, agacée.
« Seiya… Tu vas perdre, pourquoi ne
rentres-tu pas chez toi ? »
Le visage du jeune homme perdit son
sourire quelques secondes avant de se creuser en une mimique malicieuse.
« Mais je suis chez moi ici maintenant
Shaina. »
Shaina hoqueta.
« Ton accent grec est déplorable, je
comprends à peine tes mots. Hors de ma vue ! », menaça-t-elle.
Il rit en s’enfuyant.
Un adolescent insolent, rien de
plus. Alors pourquoi son instinct lui hurlait-il de se méfier ? Vague
blanche qui montait, explosion éclatante. Shaina déglutit. Sa réputation de
maître était en jeu. Elle ne se laisserait pas battre.
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