dimanche 10 juin 2012

L'amour ne suffit pas : chapitre 5


Chapitre 5  — Île d’Andromède
  
            Le vent soufflait sur son visage, brise douce gorgée d’embruns salés. Le ronronnement du moteur du bateau vibrait derrière lui et le clapotis de l’eau avait quelque chose d’excitant.            Shun avait plus de quatorze ans maintenant, et pour la première fois, il allait voir le village où ils faisaient le stock de provisions. D’ordinaire c’était Daidalos ou June qui y allait et Shun restait sur l’île à se détendre avec un livre. Mais Daidalos avait des obligations disait-il, qui l’empêchaient d’y aller.
  « Et puis, il est temps que tu vois l’île voisine, avec plus de monde, une vraie vie », avait-il rajouté en tapotant l’épaule du jeune homme.
            Shun lui avait envoyé un sourire en brise douce.

            A sa gauche, June s’était assise contre la coque. Ses longs cheveux blonds flottaient sous le vent, et la détente de son corps indiquait un apaisement. Shun commençait à décrypter les gestes imperceptibles de sa camarade pour comprendre les états d’âme que lui cachait son masque.
  « C’est un grand village ou non alors ? », demanda le jeune garçon d’un ton enjoué.
            June retourna son visage voilé vers lui, l’observant quelques secondes.
  « Je dirais… de taille moyenne. Ne t’attends pas à une ville. Mais c’est plus qu’un petit village de pêcheurs. Certes la pêche est leur activité principale, mais il y a assez de place sur leur île pour faire des récoltes. C’est plutôt… animé et haut en couleur.
  – Ah, alors ce sont des gens chaleureux ?, se réjouit le Japonais.
  – Oui, on peut dire ça comme ça… Trop chaleureux pour moi, même, murmura-t-elle. Mais toi, tu n’auras pas de problèmes », rajouta-t-elle.
            Shun lui sourit et lança ses bras en l’air.

            Au loin, il voyait l’île se rapprocher. Une forêt de pins semblait verdir une partie de la côte droite, et des rectangles rayaient une partie de la butte. Des maisons pâles se pressaient sur la côte gauche, en une vision éblouissante sous le soleil haut.
  « C’est la première fois que vous venez jeune homme ? », demanda le navigateur du zodiac.
            Shun acquiesça en rayonnant. Le marin rit.
  « Ca va vous plaire vous verrez ! C’est un peu le bazar, mais c’est le paradis comparé à votre île. Et puis nos femmes sont superbes, taquina-t-il.
  – Monsieur !, protesta June.
  – Ah oui c’est vrai, vous êtes des sortes d’ermites… Cela dit parfois,  votre maître… »
            Il gloussa sans finir sa phrase.
            Shun voyait à la contraction de ses épaules que June était contrariée. Sans comprendre, il choisit de se taire et regarda les arbres vers l’horizon.

            La mer glissait sous eux, en clapotis doux. Le souffle refroidissait la chaleur du soleil, éventait leurs peaux brûlées. La terre se rapprochait lentement. Shun agrandit ses yeux d’émerveillement. Un port était apparu, et derrière, des étals de marché coloraient les maisons pâles. Des silhouettes noires circulaient entre les échoppes, formes souples et fermes. Le village débordait de vie.
            Le zodiac se rangea contre un ponton et le marin l’amarra fermement.
            June sortit en un bond gracieux, deux paniers en paille souple dans les mains. Elle écarta les bras de contentement et les agita mécaniquement. Shun la rejoignit sur les planches de bois.
  « Je vous retrouve dans deux heures ici Mademoiselle ? », demanda le marin.
            June acquiesça de la tête. Le marin hocha le visage et s’en alla vers le village. La jeune fille se tourna vers Shun et lui remit un de ses deux paniers.
  « Nous allons chercher des légumes, du riz… oh et puis quelques œufs aussi. Suis-moi ! », ordonna-t-elle.
            Shun s’exécuta docilement.

            Les étals débordaient de denrées fraîches, mais June les délaissait.
  « Je sais où la qualité est la meilleure », expliqua-t-elle quand Shun lui en fit la remarque.
            Les femmes portaient des vêtements colorés et les hommes s’habillaient plutôt en blanc. Ils étaient grands, solides, avec des peaux sombres sous le tissu léger. Des conversations gaies parvenaient de ci de là, dans une langue que Shun ne connaissait pas. Parfois il discernait quelques mots en anglais, mais peut-être son oreille le trompait-il.
            Au détour d’une rue, un brouhaha venait d’une place. Shun s’arrêta, intrigué.
  « Ce sont les lutteurs, expliqua June.
  – Les lutteurs ?, s’étonna Shun. Peut-on aller voir ?
  – Non, je ne veux pas ! », s’exclama brusquement June.
            Shun la regarda, interloqué. Il vit ses hanches se raidir, puis son ventre se décrisper.
  « Bon je suppose que toi tu peux aller voir, soupira-t-elle. Mais je ne t’accompagne pas. »
            Elle pointa une maison bleue un peu plus en amont de la rue.
  « Tu vois cette boutique ? C’est là qu’on va. Va voir les lutteurs, puis retrouve-moi là-bas. »
            Le visage de Shun s’éclaira d’un sourire pur.
  « Merci ! », dit-il alors qu’elle avait déjà tourné le dos.

            Il alla dans la rue de droite, et atteignit la place. Dans un cercle tacite, quelques hommes s’étaient lancés dans un combat amical, entourés de spectatrices attentives.
            Ils luttaient en souplesse, en prises simples indolores. Ils étaient nus jusqu’à la taille, un pantalon blanc serrant leurs hanches en élastique flexible. Leurs muscles gonflaient sous leur peau noire, contractaient leurs torses dévêtus. Des lignes de sueur musquée glissaient le long du ventre entre les abdominaux, se perdaient dans leurs dos sculptés. Ils tendaient leurs bras forts vers leur adversaire, collaient leur derme chaud contre le corps de l’autre. En une étreinte virile, ils pivotaient, cherchant la meilleure prise.
            Shun ouvrait la bouche, incapable de se détourner du spectacle. Il n’avait jamais rien vu d’aussi exaltant, d’aussi… excitant ? Il humidifia ses lèvres, troublé.
            Les lutteurs riaient. Un cercle de jeunes filles les entourait. Elles posaient leurs mains sur leurs tailles fines, et se penchaient en agitant leurs seins. Les hommes, en parade amoureuse, redoublaient d’ardeur au combat. Ils glissaient leurs mains moites sur leur adversaire, en caresse brusque, leur peau sombre luisait sous le soleil.
            Shun trembla soudain en pressant le sac de courses devant lui. Une raideur imprévue de son corps le fit rougir de honte. Il tourna le dos au spectacle fascinant et retourna à ses achats, à petits pas embarrassés.


            L’épicerie bleue était plus grande que sa devanture ne le laissait supposer. Des bacs dégorgeaient de ces légumes que Shun avait fini par connaître, et une fraîcheur douce régnait entre les murs.
  « Mais je vous dis que je ne suis pas intéressée ! »
            C’était la voix de June, et elle semblait contrariée. Shun se précipita pour voir. Un homme s’était rapproché de la jeune fille et murmurait an mauvais anglais :
  « Allez, je suis sûr qu’on pourrait…
  – Mais que faites-vous ? », le coupa Shun.
            L’homme regarda le jeune garçon et rit.
  « Mais qui avons-nous là ? »
            Puis il tourna un visage scandalisé vers June :
  «  Ne me dis pas que… Non, tu ne peux pas préférer un gamin aussi efféminé hein !
  – Mais qu’est-ce que… ? », s’étonna Shun.
            June restait raide sans répliquer.
            L’homme se dégagea d’elle et approcha le jeune Japonais.
  « C’est ta copine ?, interrogea-t-il abruptement.
  – Ma… C’est mon amie oui », répondit naïvement Shun.
            L’homme le dévisagea quelques secondes.
  « Ca me dépasse ! Mais c’est bon, je n’insiste pas alors. »
            Il sortit de la boutique.
            Shun se tourna vers la jeune fille. Elle ne bougeait pas, ses muscles rigides.
  « June… », chuchota Shun.
            Du fond de la réserve, un vendeur apparut, les bras alourdis de sacs de riz. June les saisit et les posa dans le panier de Shun, le sien étant déjà plein de légumes. Sans un mot elle paya et entraîna son camarade dehors. Ils rejoignirent le port en silence, le corps de June contracté alors que Shun commençait lui à se détendre.
            Le marin les attendait. Ils remontèrent et repartirent vers l’île d’Andromède.


           Daidalos les accueillit de bonne humeur. June se décontractait progressivement, et Shun était toujours émerveillé de son voyage. Il le raconta en pépiant en dînant avec son maître. Daidalos rit des propos éblouis de son élève et ils parlèrent jusqu’à tard.

          Le soir, allongé dans son lit, Shun était encore trop nerveux de ses découvertes du jour pour dormir. Corps sombres glissant les uns contre les autres, peau sur peau moite, muscles dessinés sur des ventres purs. Le souvenir le saisit brutalement. Sans réaliser ce qu’il faisait, Shun tendit instinctivement ses doigts vers la raideur de son corps. Cherchant l’apaisement, il caressa doucement, puis de plus en plus vite. La brutalité de son désir l’envahit brusquement et en un râle étouffé il se répandit entre ses draps. Confus, il roula le tissu souillé loin de lui et se retourna sur le bord.
           Le sommeil l’envahit brusquement, gouffre salvateur, et il s’endormit sur ses émois inconnus.


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