Chapitre 5 —
Île d’Andromède
Le
vent soufflait sur son visage, brise douce gorgée d’embruns salés. Le
ronronnement du moteur du bateau vibrait derrière lui et le clapotis de l’eau
avait quelque chose d’excitant. Shun
avait plus de quatorze ans maintenant, et pour la première fois, il allait voir
le village où ils faisaient le stock de provisions. D’ordinaire c’était
Daidalos ou June qui y allait et Shun restait sur l’île à se détendre avec un
livre. Mais Daidalos avait des obligations disait-il, qui l’empêchaient d’y
aller.
« Et
puis, il est temps que tu vois l’île voisine, avec plus de monde, une vraie
vie », avait-il rajouté en tapotant l’épaule du jeune homme.
Shun
lui avait envoyé un sourire en brise douce.
A
sa gauche, June s’était assise contre la coque. Ses longs cheveux blonds
flottaient sous le vent, et la détente de son corps indiquait un apaisement.
Shun commençait à décrypter les gestes imperceptibles de sa camarade pour
comprendre les états d’âme que lui cachait son masque.
« C’est un grand village ou non alors ? », demanda le
jeune garçon d’un ton enjoué.
June
retourna son visage voilé vers lui, l’observant quelques secondes.
« Je
dirais… de taille moyenne. Ne t’attends pas à une ville. Mais c’est plus qu’un
petit village de pêcheurs. Certes la pêche est leur activité principale, mais
il y a assez de place sur leur île pour faire des récoltes. C’est plutôt… animé
et haut en couleur.
– Ah, alors
ce sont des gens chaleureux ?, se réjouit le Japonais.
– Oui, on
peut dire ça comme ça… Trop chaleureux pour moi, même, murmura-t-elle.
Mais toi, tu n’auras pas de problèmes », rajouta-t-elle.
Shun
lui sourit et lança ses bras en l’air.
Au
loin, il voyait l’île se rapprocher. Une forêt de pins semblait verdir une
partie de la côte droite, et des rectangles rayaient une partie de la butte.
Des maisons pâles se pressaient sur la côte gauche, en une vision éblouissante
sous le soleil haut.
« C’est la première fois que vous venez jeune homme ? »,
demanda le navigateur du zodiac.
Shun
acquiesça en rayonnant. Le marin rit.
« Ca
va vous plaire vous verrez ! C’est un peu le bazar, mais c’est le paradis
comparé à votre île. Et puis nos femmes sont superbes, taquina-t-il.
–
Monsieur !, protesta June.
– Ah oui
c’est vrai, vous êtes des sortes d’ermites… Cela dit parfois, votre maître… »
Il
gloussa sans finir sa phrase.
Shun
voyait à la contraction de ses épaules que June était contrariée. Sans
comprendre, il choisit de se taire et regarda les arbres vers l’horizon.
La
mer glissait sous eux, en clapotis doux. Le souffle refroidissait la chaleur du
soleil, éventait leurs peaux brûlées. La terre se rapprochait lentement. Shun
agrandit ses yeux d’émerveillement. Un port était apparu, et derrière, des
étals de marché coloraient les maisons pâles. Des silhouettes noires
circulaient entre les échoppes, formes souples et fermes. Le village débordait
de vie.
Le
zodiac se rangea contre un ponton et le marin l’amarra fermement.
June
sortit en un bond gracieux, deux paniers en paille souple dans les mains. Elle
écarta les bras de contentement et les agita mécaniquement. Shun la rejoignit
sur les planches de bois.
« Je
vous retrouve dans deux heures ici Mademoiselle ? », demanda le
marin.
June
acquiesça de la tête. Le marin hocha le visage et s’en alla vers le village. La
jeune fille se tourna vers Shun et lui remit un de ses deux paniers.
« Nous
allons chercher des légumes, du riz… oh et puis quelques œufs aussi.
Suis-moi ! », ordonna-t-elle.
Shun
s’exécuta docilement.
Les
étals débordaient de denrées fraîches, mais June les délaissait.
« Je
sais où la qualité est la meilleure », expliqua-t-elle quand Shun lui en
fit la remarque.
Les
femmes portaient des vêtements colorés et les hommes s’habillaient plutôt en
blanc. Ils étaient grands, solides, avec des peaux sombres sous le tissu léger.
Des conversations gaies parvenaient de ci de là, dans une langue que Shun ne
connaissait pas. Parfois il discernait quelques mots en anglais, mais peut-être
son oreille le trompait-il.
Au
détour d’une rue, un brouhaha venait d’une place. Shun s’arrêta, intrigué.
« Ce
sont les lutteurs, expliqua June.
– Les
lutteurs ?, s’étonna Shun. Peut-on aller voir ?
– Non, je
ne veux pas ! », s’exclama brusquement June.
Shun
la regarda, interloqué. Il vit ses hanches se raidir, puis son ventre se
décrisper.
« Bon
je suppose que toi tu peux aller voir, soupira-t-elle. Mais je ne t’accompagne
pas. »
Elle
pointa une maison bleue un peu plus en amont de la rue.
« Tu
vois cette boutique ? C’est là qu’on va. Va voir les lutteurs, puis
retrouve-moi là-bas. »
Le
visage de Shun s’éclaira d’un sourire pur.
« Merci ! », dit-il alors qu’elle avait déjà tourné le
dos.
Il
alla dans la rue de droite, et atteignit la place. Dans un cercle tacite,
quelques hommes s’étaient lancés dans un combat amical, entourés de
spectatrices attentives.
Ils
luttaient en souplesse, en prises simples indolores. Ils étaient nus jusqu’à la
taille, un pantalon blanc serrant leurs hanches en élastique flexible. Leurs
muscles gonflaient sous leur peau noire, contractaient leurs torses dévêtus.
Des lignes de sueur musquée glissaient le long du ventre entre les abdominaux,
se perdaient dans leurs dos sculptés. Ils tendaient leurs bras forts vers leur
adversaire, collaient leur derme chaud contre le corps de l’autre. En une
étreinte virile, ils pivotaient, cherchant la meilleure prise.
Shun
ouvrait la bouche, incapable de se détourner du spectacle. Il n’avait jamais
rien vu d’aussi exaltant, d’aussi… excitant ? Il humidifia ses lèvres,
troublé.
Les
lutteurs riaient. Un cercle de jeunes filles les entourait. Elles posaient
leurs mains sur leurs tailles fines, et se penchaient en agitant leurs seins.
Les hommes, en parade amoureuse, redoublaient d’ardeur au combat. Ils
glissaient leurs mains moites sur leur adversaire, en caresse brusque, leur
peau sombre luisait sous le soleil.
Shun
trembla soudain en pressant le sac de courses devant lui. Une raideur imprévue
de son corps le fit rougir de honte. Il tourna le dos au spectacle fascinant et
retourna à ses achats, à petits pas embarrassés.
L’épicerie
bleue était plus grande que sa devanture ne le laissait supposer. Des bacs
dégorgeaient de ces légumes que Shun avait fini par connaître, et une fraîcheur
douce régnait entre les murs.
« Mais
je vous dis que je ne suis pas intéressée ! »
C’était
la voix de June, et elle semblait contrariée. Shun se précipita pour voir. Un
homme s’était rapproché de la jeune fille et murmurait an mauvais
anglais :
« Allez, je suis sûr qu’on pourrait…
– Mais que
faites-vous ? », le coupa Shun.
L’homme
regarda le jeune garçon et rit.
« Mais
qui avons-nous là ? »
Puis
il tourna un visage scandalisé vers June :
« Ne
me dis pas que… Non, tu ne peux pas préférer un gamin aussi efféminé
hein !
– Mais
qu’est-ce que… ? », s’étonna Shun.
June
restait raide sans répliquer.
L’homme
se dégagea d’elle et approcha le jeune Japonais.
« C’est ta copine ?, interrogea-t-il abruptement.
– Ma… C’est
mon amie oui », répondit naïvement Shun.
L’homme
le dévisagea quelques secondes.
« Ca
me dépasse ! Mais c’est bon, je n’insiste pas alors. »
Il
sortit de la boutique.
Shun
se tourna vers la jeune fille. Elle ne bougeait pas, ses muscles rigides.
« June… », chuchota Shun.
Du
fond de la réserve, un vendeur apparut, les bras alourdis de sacs de riz. June
les saisit et les posa dans le panier de Shun, le sien étant déjà plein de
légumes. Sans un mot elle paya et entraîna son camarade dehors. Ils
rejoignirent le port en silence, le corps de June contracté alors que Shun
commençait lui à se détendre.
Le
marin les attendait. Ils remontèrent et repartirent vers l’île d’Andromède.
Daidalos
les accueillit de bonne humeur. June se décontractait progressivement, et Shun
était toujours émerveillé de son voyage. Il le raconta en pépiant en dînant
avec son maître. Daidalos rit des propos éblouis de son élève et ils parlèrent
jusqu’à tard.
Le
soir, allongé dans son lit, Shun était encore trop nerveux de ses découvertes
du jour pour dormir. Corps sombres glissant les uns contre les autres, peau sur
peau moite, muscles dessinés sur des ventres purs. Le souvenir le saisit
brutalement. Sans réaliser ce qu’il faisait, Shun tendit instinctivement ses
doigts vers la raideur de son corps. Cherchant l’apaisement, il caressa doucement,
puis de plus en plus vite. La brutalité de son désir l’envahit brusquement et
en un râle étouffé il se répandit entre ses draps. Confus, il roula le tissu
souillé loin de lui et se retourna sur le bord.
Le
sommeil l’envahit brusquement, gouffre salvateur, et il s’endormit sur ses
émois inconnus.
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