Chapitre 8 : Shiryû
Les
groupes se faisaient par affinités de couleurs. Luisant très légèrement au plus
près de leur peau, l’aura se faisait discrète, invisible pour qui ne voulait
pas la voir. Certaines brillaient plus, feux brillants autour des silhouettes
minces. Instinctivement, les adolescents se regroupaient en harmonies de
teintes, arc-en-ciel bigarré. Il secouait la tête pour effacer cette vision
étrange, et le monde reprenait une apparence plus normale, contours nets se
découpant sur le vert orangé des arbres.
Shiryû
secoua sa longue chevelure noire, démêlant machinalement les nœuds du bout des
doigts. Assis contre un arbre, légèrement en retrait, il regardait les autres s’amuser.
Un léger regret l’envahit, sans qu’il parvienne à comprendre ce qui lui
manquait. Le soleil filtré par les feuilles tombait en rayons épars sur ses
mains, réchauffait ses cuisses croisées. L’automne soufflait doucement dans les
allées, faisant rougir les érables. Shiryû sourit sous la caresse de la brise.
« Tu te caches encore ? »
Shiryû
releva les yeux sur le jeune garçon. Il avait posé son coude gauche sur le
tronc et se grattait négligemment la hanche. De ses baskets embourbées, il
tapait mécaniquement sur le bas de l’arbre.
« Je
ne me cache pas, protesta Shiryû, je suis on ne peut plus visible.
– Mouais,
renifla Seiya, peu convaincu. Moi je dis que t’as peur de ne pas attraper le
ballon si tu jouais avec nous. »
Shiryû
commença à ouvrir la bouche pour protester, puis se ravisa. Quelle
importance ? Seiya ne comprendrait pas s’il lui expliquait qu’il préférait
la solitude, qu’il aimait oublier son aura d’un bleu quasi blanc, que les
autres lui rappelaient cruellement sa condition. Il referma donc les lèvres et
attendit en silence. Mais Seiya en avait décidé autrement. Il l’attrapa par
l’épaule, le releva et l’entraîna sur le terrain improvisé de jeu. Il pépia
gaiement qu’il avait trouvé un autre joueur et le propulsa dans son équipe.
Shiryû n’aimait pas les conflits, c’était bon pour son voisin de chambrée. Il
se laissa donc entraîner, et la sensation étrange d’être entouré l’envahit. A
la fin de la partie, il en avait le tournis.
« Ben
tu vois Shiryû, ce n’était pas si compliqué ! », rit Seiya en lui
tapotant l’épaule.
Shiryû
sourit. Seiya ne le savait pas, mais par son insouciance, il l’obligeait à
affronter ses peurs, à laisser des sentiments étranges l’envahir. Shiryû
refusait de se l’avouer, mais il lui en était reconnaissant.
Il
y songeait en marchant dans le couloir vers sa chambre. Le tapis de lin marron
agrippait le sable légèrement humide de ses chaussures, protégeant le sol de
pierre de toute tache. Les fenêtres larges lançaient un reflet devant ses pas,
jetant un jour couchant sur ses traces. Arrivé devant la porte, il délaça ses
tennis et les aligna à côté des souliers déjà posés. Il haussa un sourcil
devant l’autre paire, Hyôga n’était pas seul visiblement, impression confirmée
par des rires joyeux. Haussant les épaules, il frappa pour signaler sa présence
et entra.
Hyôga
avait rapproché la chaise du bureau de Shiryû vers le sien et montrait quelque
chose dans un livre. Assis à ses côtés, le jeune garçon châtain avait posé une
main sur sa bouche rieuse, et soulignait un mot de sa feuille. Ils se
retournèrent tous les deux vers Shiryû et le saluèrent d’un
« Bonsoir » enjoué. Surpris, Shiryû se contenta de hocher la tête en
retour.
« Excuse-moi, j’ai pris ta chaise, si tu
en as besoin je peux…
– Ce n’est
pas grave, le coupa Shiryû. Je n’ai pas de travail écrit. »
Il
joignit le geste à la parole et s’empara d’un livre. Il s’assit sur son lit, et
s’y plongea. De temps en temps, il regardait les deux devant lui. Ils riaient
beaucoup avec ce qui semblait pourtant être des mathématiques. Comment diable
pouvait-on plaisanter avec une chose pareille ? Peut-être que… De nouveau,
le sentiment étrange de regret brûla dans son cœur, se déversa en sensation
acide dans son ventre. Il n’y avait pas si longtemps, il pensait avoir tout
compris des choses indispensables à la vie. Il pouvait examiner les autres et
les conseiller. Seul, les observant en repli, il voyait comment les aider. Du
moins il croyait.
Un
manque avait commencé à l’envahir, sans qu’il sache comment le résoudre. Léger
comme les feuilles rouges sous le vent, refroidissant l’intérieur de son corps,
gémissant de tristes pensées. Il lui susurrait un chagrin douloureux,
envahissait sa pensée consciente. Shiryû essayait de l’écouter, mais frémissait
sous la demande. Il aimait sa tranquillité paisible, il ne se sentait pas prêt
à la voir chamboulée, qu’importe si cela le rendait heureux, qu’importe si une
partie de lui pleurait sous l’absence. L’amitié le terrifiait. Il ne voulait
pas rapprocher son aura ondulante des autres.
« Merci
de m’avoir aidé ! », s’exclamait Shun d’une voix claire, le bras
gauche sur les épaules du blond. Hyôga riait en refermant le livre.
Les
lumières clignotèrent et s’éteignirent soudain. Shun poussa une petite plainte
tandis que Hyôga jura. Shiryû reposa son livre désormais inutile à ses côtés.
« Le
courant va revenir, patience, déclara-t-il, je crois que le manoir possède son
propre générateur. Il a dû y avoir un dysfonctionnement mais ça sera vite
réparé. »
Hyôga
marmonna quelque chose en russe en se rapprochant de la fenêtre. Le soleil
s’était couché, et seule la lumière des étoiles rentrait dans la chambre. Il
tendit le bras, et Shiryû vit la silhouette mince de Shun se rapprocher pour
coller son nez à la vitre.
« C’est beau !, s’écria-t-il, j’avais presque oublié les
constellations !
–
Ah ? », s’enquit Hyôga.
D’un
babillement rapide, Shun lui expliqua ses bases d’astronomie. Toujours assis
sur son lit, Shiryû posa le dos contre le mur. En un soupir, il ferma les yeux,
tentant de replonger dans une méditation calme, loin de ce bavardage. Sous ses
paupières closes, la lumière de ses camarades l’envahit. Elle longeait le corps
de chacun, éclairant leurs visages discutant, auras puissantes. Shiryû frémit.
Il les voyait plus encore, discernant une ecchymose brune disparaissant sur la
tempe de Shun, les ongles limés de Hyôga. Haletant, il rouvrit les yeux,
plongeant sa vision dans la bienfaisante obscurité de la pièce. Les auras
disparurent alors que clignotèrent à nouveau les ampoules, signalant le retour
de l’électricité.
« Ah ! Je vais rentrer alors !, pépia Shun en saluant son
ami.
– Je te
raccompagne. »
Shiryû,
enfin seul, regarda ses paumes. Une lumière douce les entourait, traversée de
contre-courants. Soupirant, il ressortit, enfila ses chaussures et courut dans
la salle commune. Il allait parler de la coupure d’électricité, tout le monde
ne blablaterait que sur ce sujet ce soir. Oui, il allait en parler, il avait
besoin de parler, il avait besoin de contact humain. En un murmure avoué, Shiryû
pressa le pas. Il venait de cerner les limites de sa sagesse actuelle.
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