dimanche 10 juin 2012

Enfance délaissée : chapitre 8


Chapitre 8 : Shiryû


            Les groupes se faisaient par affinités de couleurs. Luisant très légèrement au plus près de leur peau, l’aura se faisait discrète, invisible pour qui ne voulait pas la voir. Certaines brillaient plus, feux brillants autour des silhouettes minces. Instinctivement, les adolescents se regroupaient en harmonies de teintes, arc-en-ciel bigarré. Il secouait la tête pour effacer cette vision étrange, et le monde reprenait une apparence plus normale, contours nets se découpant sur le vert orangé des arbres.
            Shiryû secoua sa longue chevelure noire, démêlant machinalement les nœuds du bout des doigts. Assis contre un arbre, légèrement en retrait, il regardait les autres s’amuser. Un léger regret l’envahit, sans qu’il parvienne à comprendre ce qui lui manquait. Le soleil filtré par les feuilles tombait en rayons épars sur ses mains, réchauffait ses cuisses croisées. L’automne soufflait doucement dans les allées, faisant rougir les érables. Shiryû sourit sous la caresse de la brise.
  « Tu te caches encore ? »
            Shiryû releva les yeux sur le jeune garçon. Il avait posé son coude gauche sur le tronc et se grattait négligemment la hanche. De ses baskets embourbées, il tapait mécaniquement sur le bas de l’arbre.
  « Je ne me cache pas, protesta Shiryû, je suis on ne peut plus visible.
  – Mouais, renifla Seiya, peu convaincu. Moi je dis que t’as peur de ne pas attraper le ballon si tu jouais avec nous. »
            Shiryû commença à ouvrir la bouche pour protester, puis se ravisa. Quelle importance ? Seiya ne comprendrait pas s’il lui expliquait qu’il préférait la solitude, qu’il aimait oublier son aura d’un bleu quasi blanc, que les autres lui rappelaient cruellement sa condition. Il referma donc les lèvres et attendit en silence. Mais Seiya en avait décidé autrement. Il l’attrapa par l’épaule, le releva et l’entraîna sur le terrain improvisé de jeu. Il pépia gaiement qu’il avait trouvé un autre joueur et le propulsa dans son équipe. Shiryû n’aimait pas les conflits, c’était bon pour son voisin de chambrée. Il se laissa donc entraîner, et la sensation étrange d’être entouré l’envahit. A la fin de la partie, il en avait le tournis.
  « Ben tu vois Shiryû, ce n’était pas si compliqué ! », rit Seiya en lui tapotant l’épaule.
            Shiryû sourit. Seiya ne le savait pas, mais par son insouciance, il l’obligeait à affronter ses peurs, à laisser des sentiments étranges l’envahir. Shiryû refusait de se l’avouer, mais il lui en était reconnaissant.

            Il y songeait en marchant dans le couloir vers sa chambre. Le tapis de lin marron agrippait le sable légèrement humide de ses chaussures, protégeant le sol de pierre de toute tache. Les fenêtres larges lançaient un reflet devant ses pas, jetant un jour couchant sur ses traces. Arrivé devant la porte, il délaça ses tennis et les aligna à côté des souliers déjà posés. Il haussa un sourcil devant l’autre paire, Hyôga n’était pas seul visiblement, impression confirmée par des rires joyeux. Haussant les épaules, il frappa pour signaler sa présence et entra.
            Hyôga avait rapproché la chaise du bureau de Shiryû vers le sien et montrait quelque chose dans un livre. Assis à ses côtés, le jeune garçon châtain avait posé une main sur sa bouche rieuse, et soulignait un mot de sa feuille. Ils se retournèrent tous les deux vers Shiryû et le saluèrent d’un « Bonsoir » enjoué. Surpris, Shiryû se contenta de hocher la tête en retour.
  « Excuse-moi, j’ai pris ta chaise, si tu en as besoin je peux…
  – Ce n’est pas grave, le coupa Shiryû. Je n’ai pas de travail écrit. »
            Il joignit le geste à la parole et s’empara d’un livre. Il s’assit sur son lit, et s’y plongea. De temps en temps, il regardait les deux devant lui. Ils riaient beaucoup avec ce qui semblait pourtant être des mathématiques. Comment diable pouvait-on plaisanter avec une chose pareille ? Peut-être que… De nouveau, le sentiment étrange de regret brûla dans son cœur, se déversa en sensation acide dans son ventre. Il n’y avait pas si longtemps, il pensait avoir tout compris des choses indispensables à la vie. Il pouvait examiner les autres et les conseiller. Seul, les observant en repli, il voyait comment les aider. Du moins il croyait.
            Un manque avait commencé à l’envahir, sans qu’il sache comment le résoudre. Léger comme les feuilles rouges sous le vent, refroidissant l’intérieur de son corps, gémissant de tristes pensées. Il lui susurrait un chagrin douloureux, envahissait sa pensée consciente. Shiryû essayait de l’écouter, mais frémissait sous la demande. Il aimait sa tranquillité paisible, il ne se sentait pas prêt à la voir chamboulée, qu’importe si cela le rendait heureux, qu’importe si une partie de lui pleurait sous l’absence. L’amitié le terrifiait. Il ne voulait pas rapprocher son aura ondulante des autres.
  « Merci de m’avoir aidé ! », s’exclamait Shun d’une voix claire, le bras gauche sur les épaules du blond. Hyôga riait en refermant le livre.
            Les lumières clignotèrent et s’éteignirent soudain. Shun poussa une petite plainte tandis que Hyôga jura. Shiryû reposa son livre désormais inutile à ses côtés.
  « Le courant va revenir, patience, déclara-t-il, je crois que le manoir possède son propre générateur. Il a dû y avoir un dysfonctionnement mais ça sera vite réparé. »
            Hyôga marmonna quelque chose en russe en se rapprochant de la fenêtre. Le soleil s’était couché, et seule la lumière des étoiles rentrait dans la chambre. Il tendit le bras, et Shiryû vit la silhouette mince de Shun se rapprocher pour coller son nez à la vitre.
  « C’est beau !, s’écria-t-il, j’avais presque oublié les constellations !
  – Ah ? », s’enquit Hyôga.
            D’un babillement rapide, Shun lui expliqua ses bases d’astronomie. Toujours assis sur son lit, Shiryû posa le dos contre le mur. En un soupir, il ferma les yeux, tentant de replonger dans une méditation calme, loin de ce bavardage. Sous ses paupières closes, la lumière de ses camarades l’envahit. Elle longeait le corps de chacun, éclairant leurs visages discutant, auras puissantes. Shiryû frémit. Il les voyait plus encore, discernant une ecchymose brune disparaissant sur la tempe de Shun, les ongles limés de Hyôga. Haletant, il rouvrit les yeux, plongeant sa vision dans la bienfaisante obscurité de la pièce. Les auras disparurent alors que clignotèrent à nouveau les ampoules, signalant le retour de l’électricité.
  « Ah ! Je vais rentrer alors !, pépia Shun en saluant son ami.
  – Je te raccompagne. »
            Shiryû, enfin seul, regarda ses paumes. Une lumière douce les entourait, traversée de contre-courants. Soupirant, il ressortit, enfila ses chaussures et courut dans la salle commune. Il allait parler de la coupure d’électricité, tout le monde ne blablaterait que sur ce sujet ce soir. Oui, il allait en parler, il avait besoin de parler, il avait besoin de contact humain. En un murmure avoué, Shiryû pressa le pas. Il venait de cerner les limites de sa sagesse actuelle.


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