dimanche 10 juin 2012

Enfance délaissée : chapitre 3


Chapitre 3 : Shiryû

            Le soleil était haut dans le ciel. Puissant, chaud, il irradiait sur le parc bien entretenu. Les arbres alignés déployaient sur l’allée une ombre douce. Même en ce fond de parc, la végétation était entretenue, contenue. Il fallait courir jusqu’à la forêt voisine pour casser cette impression de nature sous contrôle. Cette dernière était maintenue, mais on ne sentait pas la volonté de planter les tulipes dans l’axe correct pour faire ressortir le trajet des galets vers le manoir.
            Assis sous l’un des cerisiers de l’aile est, Shiryû essayait de méditer. Il avait choisi ce secteur car il était plus déserté que l’aile ouest. Mais il suffisait de deux personnes pour emplir un lieu calme de cris. La voix stridente de Seiya couvrait les propos de son camarade. Le premier semblait fier de lui. Shiryû s’en moquait. Tout ce qu’il savait, c’est que les vibrations des proclamations de Seiya troublaient toute sa sérénité. Ah qu’il s’éloignait de plus en plus le temps où il était seul ici…

            Shiryû ne se souvenait pas d’un jour de solitude avant d’arriver au manoir. Il avait grandi dans un orphelinat, les chambres grouillant de ronflements et de rires. Il y avait toujours quelqu’un. Et pourtant il y était encore plus solitaire. Il y avait pire que d’être abandonné. Il y avait ne pas être Japonais à cent pour cent. Oh, personne n’aurait osé le dire ainsi, et encore moins à voix haute, mais par mille sous-entendus, on l’avait bien fait comprendre à Shiryû.
Il avait plongé dans cette marée enfantine railleuse, refusant de rendre les coups bas, s’accrochant à sa solitude pour se protéger. Il ne connaissait rien de la culture étrangère qu’on lui reprochait, et qu’il n’était pas même sûr d’avoir. Par bravade peut-être, ou pour donner une logique aux provocations, Shiryû l’avait arpentée à pas feutrés, se faufilant par la porte rouge de l’Empire du Milieu. Il avait été fasciné. Peu à peu, la honte douloureuse qu’on lui avait inculquée devint une fierté, et les remarques goguenardes glissaient sur sa peau dorée. Il voulait tout connaître, tout savoir. Histoire, traditions, rites, langue, il s’enivrait de mots nouveaux et de notions. Il n’avait plus la version transformée japonaise, il avait l’original chinois, et il se rengorgeait d’avoir approché plus près. Il était seul, mais une culture complète lui parlait. Le brouhaha des voix autour de lui était plus un obstacle qu’une joie ou une appréhension.

            Quand on était venu le chercher pour la Fondation, il n’avait pas hésité une minute. Il était arrivé parmi les premiers, s’étirant doucement autour de la vaste demeure, tentant de comprendre le murmure des arbres. Il avait ébloui les quelques autres de par son savoir et son recul. On l’avait alors laissé tranquille, n’osant le déranger que pour des questions importantes. Shiryû avait alors senti à quel point son choix de venir avait été le bon.
Mais plus la fondation se remplissait, plus la sérénité disparaissait. Shiryû n’oserait jamais employer le mot "parasite", mais c’était pourtant ce qu’il ressentait sans se l’avouer. Il avait de plus en plus de mal à retrouver le calme réconfortant des débuts.
C’est alors qu’il reçut le ballon sur l’épaule.

  « Heu, Shiryû… Tu peux renvoyer ? »

            Shiryû ouvrit les yeux sur un Seiya pas même gêné, plus occupé à se récurer le nez qu’à venir chercher son jouet. Son camarade, mains dans les poches, mâchait ostensiblement un chewing-gum, seul signe d’une quelconque activité. Shiryû soupira en relançant félinement l’objet. Seiya eut un petit cri de victoire en repartant la balle au pied avec son camarade, soudainement revigoré.
            Shiryû les regarda partir, entre contrariété et soulagement. En un murmure quasi inaudible, il se rassura et repartit au gymnase. Il devait s’habituer aux autres.


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