Chapitre
3 : Shiryû
Le
soleil était haut dans le ciel. Puissant, chaud, il irradiait sur le parc bien
entretenu. Les arbres alignés déployaient sur l’allée une ombre douce. Même en
ce fond de parc, la végétation était entretenue, contenue. Il fallait courir
jusqu’à la forêt voisine pour casser cette impression de nature sous contrôle.
Cette dernière était maintenue, mais on ne sentait pas la volonté de planter
les tulipes dans l’axe correct pour faire ressortir le trajet des galets vers
le manoir.
Assis
sous l’un des cerisiers de l’aile est, Shiryû essayait de méditer. Il avait
choisi ce secteur car il était plus déserté que l’aile ouest. Mais il suffisait
de deux personnes pour emplir un lieu calme de cris. La voix stridente de Seiya
couvrait les propos de son camarade. Le premier semblait fier de lui. Shiryû
s’en moquait. Tout ce qu’il savait, c’est que les vibrations des proclamations
de Seiya troublaient toute sa sérénité. Ah qu’il s’éloignait de plus en plus le
temps où il était seul ici…
Shiryû
ne se souvenait pas d’un jour de solitude avant d’arriver au manoir. Il avait
grandi dans un orphelinat, les chambres grouillant de ronflements et de rires.
Il y avait toujours quelqu’un. Et pourtant il y était encore plus solitaire. Il
y avait pire que d’être abandonné. Il y avait ne pas être Japonais à cent pour
cent. Oh, personne n’aurait osé le dire ainsi, et encore moins à voix haute,
mais par mille sous-entendus, on l’avait bien fait comprendre à Shiryû.
Il avait plongé dans cette marée enfantine
railleuse, refusant de rendre les coups bas, s’accrochant à sa solitude pour se
protéger. Il ne connaissait rien de la culture étrangère qu’on lui reprochait,
et qu’il n’était pas même sûr d’avoir. Par bravade peut-être, ou pour donner
une logique aux provocations, Shiryû l’avait arpentée à pas feutrés, se
faufilant par la porte rouge de l’Empire du Milieu. Il avait été fasciné. Peu à
peu, la honte douloureuse qu’on lui avait inculquée devint une fierté, et les
remarques goguenardes glissaient sur sa peau dorée. Il voulait tout connaître,
tout savoir. Histoire, traditions, rites, langue, il s’enivrait de mots
nouveaux et de notions. Il n’avait plus la version transformée japonaise, il
avait l’original chinois, et il se rengorgeait d’avoir approché plus près. Il
était seul, mais une culture complète lui parlait. Le brouhaha des voix autour
de lui était plus un obstacle qu’une joie ou une appréhension.
Quand
on était venu le chercher pour la
Fondation , il n’avait pas hésité une minute. Il était arrivé
parmi les premiers, s’étirant doucement autour de la vaste demeure, tentant de
comprendre le murmure des arbres. Il avait ébloui les quelques autres de par
son savoir et son recul. On l’avait alors laissé tranquille, n’osant le
déranger que pour des questions importantes. Shiryû avait alors senti à quel
point son choix de venir avait été le bon.
Mais plus la fondation se remplissait, plus la
sérénité disparaissait. Shiryû n’oserait jamais employer le mot
"parasite", mais c’était pourtant ce qu’il ressentait sans se
l’avouer. Il avait de plus en plus de mal à retrouver le calme réconfortant des
débuts.
C’est alors qu’il reçut le ballon sur l’épaule.
« Heu,
Shiryû… Tu peux renvoyer ? »
Shiryû
ouvrit les yeux sur un Seiya pas même gêné, plus occupé à se récurer le nez
qu’à venir chercher son jouet. Son camarade, mains dans les poches, mâchait
ostensiblement un chewing-gum, seul signe d’une quelconque activité. Shiryû
soupira en relançant félinement l’objet. Seiya eut un petit cri de victoire en
repartant la balle au pied avec son camarade, soudainement revigoré.
Shiryû
les regarda partir, entre contrariété et soulagement. En un murmure quasi
inaudible, il se rassura et repartit au gymnase. Il devait s’habituer aux
autres.
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